Les effluves d'une nuit, le parfum d'un souvenir. {Drew}

Le manteau de la nuit s’était déposé sur les environs, sournois et intenable, laissant les lieux reprendre nébuleusement vie sous les bavardages et les rencontres, les tortures et les douleurs. Le vent profitait d’ailleurs de l’interlude pour sinuer dans les ruelles sombres et oubliées du reste du monde. Soulevant par instant la chevelure retenue par un fin ruban et qui esquissait les épaules de la jeune femme qui s’avançait, ses mains glissées dans les poches de mon blouson de cuir, vague protection à la fraîcheur du soir. Mais loin de ressasser le passé ce soir-là, comme lors de sa première visite des lieux, elle prenait la direction d’une ruelle bien particulière, le cliquetis de ses talons martelant le sol à chacun de ses pas tandis qu’elle fixait son esprit sur sa prochaine rencontre.

Ses jambes laissées nues sous l’esquisse de la nuit, une simple jupe retombait sur celles-ci, ne les dissimulant qu’à demi. Ses airs si innocents paraissaient se dissimuler sous cette nouvelle apparence qu’elle espérait protectrice pour ce soir, suffisamment proche de ce qu’un véritable démon porterait pour se rendre au Red Eyes par la suite. Et sans prêter d’attention à ceux qu’elle croisait, elle arriva finalement à l’endroit désiré, ses iris s’apposant sur l’homme adossé à l’un des murs de la ruelle, ses cheveux sombres retombant sur son visage. Il avait l’air étrange, sans posséder l’apparence d’un dealer, il en avait pourtant le charisme, ce qui la fit sensiblement frissonner, avant de s’approcher sous une attitude plus suggestive, un demi sourire mutin se dessinant sur ses lèvres tout en laissant quelques mètres les séparer par simple précaution. Mais elle n’eut aucun besoin d’annoncer sa présence, le regard de l’intéressé vint effleurer ses courbes sous une lascivité accompagnée d’un sourire amusé et appréciateur.

« Je ne pensais pas que tu viendrais.
- Ah oui ? Et pour quelle raison ?
- Tu es… si jeune.
- Et alors ? J’ai ton argent, tu as ce que je veux, ou je m’en vais ?
- Tsss… Reste. » ajouta-t-il en se décollant de son support et comblant la faible distance qui les séparait encore.

Extirpant de sa poche arrière un petit paquet brun, il le lui tendit tout en continuant à la regarder attentivement. Cela ne la gênait pas vraiment… après une année à passer son temps dans les bars à la recherche d’information sur sa mère, on pouvait dire que ce genre d’œillades la laissaient indifférente. Ainsi, s’emparant de la marchandise sous l’échange d’une enveloppe, elle vérifia que l’arme s’y trouvait bien et qu’elle était en état de marche. La braquant sur son vendeur qui ressenti intérieurement une peur véritable, la rassura sur ce point, avant de finalement la glisser sous la jartelle qu’elle portait sous sa jupe, laissant retomber la papier sur le sol dans dédain voulu.

« Tu es sûre que tu n’as pas besoin d’autre chose ? lui demanda-t-il en se rapprochant un peu plus.
- Si jamais j’y songe tu en seras le premier averti, mais pas ce soir, j’ai à faire. »

Se détournant sans plus attendre, elle leva les yeux vers le ciel, vaguement amusée par son attitude, mais également soulagée que cela soit fini. Alors, pour quelles raisons voulait-elle à ce point une arme pour ne pas passer par les chemins légaux de la ville… sans effectuer la moindre demande de permis au préalable ? Simplement parce qu’elle avait bien conscience d’être désavantagée face à d’autres de son espèce, voir même devant ces maudits chasseurs qui consumaient la ville de leur présence sournoise, et qui finiraient bien par saisir qu’elle n’était pas entièrement humaine. Et puis elle aurait bien le temps de combler les autres formalités par la suite… lorsqu’elle aurait vingt-et-un ans. A présent que la tension retombait suite à son entrevue avec le démon, un soulagement l’étreignait peu à peu, s’insinuant au plus profond d’elle-même. Tout en lui redonnant l’illusion de reconnaître les lieux de cette autre nuit, même si, non, ce n’était pas les mêmes. Pourtant, elle avait l’impression de ressentir à nouveau sa présence… mais telle une enfant bornée, elle se refusa à penser que cela pouvait être autre chose que ce souvenir qui la hantait encore. Ainsi… elle continuait à avancer, marchant peut-être un peu plus vite, paraissant subitement plus fragile que dans les secondes précédentes… mais bientôt elle aurait rejoint l’endroit où son taxi l’attendait, étant payé pour patienter une heure. Plus qu’il n’en fallait pour effectuer sa petite transaction, mais elle avait préféré voir plus loin que les apparences. Ne pas s’attarder, mais prévoir tout imprévu… juste au cas où… comme ce soir.

L’exquise nuit se faisait joueuse, presque imperceptible sous les reflets de cette obscurité qui lui dissimulait sa présence, celle qu’elle percevait pourtant, ombre de ses jours, esprit de ses nuits. Ignorer celle-ci… elle s’y appliquait avec attention, resserrant d’un geste hâtif son manteau sur ses courbes glacées, alors que le ruban nouant ses cheveux bataillait sous le vent qui glissait sur sa nuque, effleurant sa peau sous des esquisses invisibles. Lentement, elle replongeait sous les démons de cet autre soir, se noyant sous son parfum, son odeur qui l’étreignait sournoisement dans cette ruelle. Impossible, n’est-ce pas, qu’il soit ici ?

Pourtant, sous le timbre de sa voix, un fin frisson s’évada jusque dans le creux de ses reins, tandis que les battements de son cœur s’intensifiaient traîtreusement. Le fait qu’il soit présent, à quelques pas à peine, paraissait étrange, d’autant plus après qu’il soit parti cette autre nuit, s’éloignant d’elle et de ce qu’elle pouvait représenter pour lui. Fuyant son lit comme un pleutre qui se serait refuser à s’expliquer… Ainsi, menant ses prunelles à l’infinie clarté du ciel, l’astre lunaire paraissant se repaître des heures éternelles qui s’échouaient sur cette terre, sur leur nouvelle rencontre, moins hasardeuse qu’il n’y paraissait en vérité, puisqu’il l’avait rejointe.

Reportant finalement ses iris sur les siens, la jeune femme esquissa l’ombre d’un sourire quelque peu ironique. Après tout, il était un démon, et elle avait eu l’espoir fourbe d’une étreinte s’éternisant au moins jusqu’au matin, d’autant plus s’il devait la conduire sur les chemins des ténèbres, la guider jusqu’à ébaucher les ombres acides de ce monde perfide et dangereux. Enfin, selon ce qu’il s’était passé la dernière fois, la chose n’avait plus été à l’ordre du jour à son humble avis, laissant ainsi la vie regagner ses droits, la courbe de son existence s’enliser dans l’obscurité des enfers de cette ville, trouver un emploi, une situation autre que la précarité dans laquelle elle se trouvait à son arrivée.

« Pourquoi ai-je l’étrange impression que tu penses que la réponse est non ? » glissa-t-elle d’une voix plus sourde qu’elle ne l’aurait voulu.

Désertant l’immobilisme de son être, ses talons martelèrent à nouveau le sol, plus faiblement cependant sous la lenteur de son avancée qui la mena jusqu’à lui. Sensiblement rancunière… qu’il soit parti comme il avait pût le faire, la jeune femme inclina sensiblement son visage sur le côté, mordillant l’une de ses lèvres d’une manière plus suggestive sans doute qu’elle ne le désirait au fond d’elle sous l’étrange sensation qui se déversait en elle. Sans précipitation, ses mains se glissèrent à nouveau dans les poches de sa veste, alors qu’elle se trouvait si près de lui, comme pour s’éviter de l’effleurer, de provoquer, sans réponse, quelque chose qu’elle ne maîtriserait pas forcément.

« Mais tu sais… les courants d’air et moi on n’est pas très amis, on finit toujours par attraper froid tôt ou tard, et je n'aime pas trop ça. »

Pourtant, elle était si proche à présent qu’elle pouvait presque sentir son souffle sur son visage, alors que celui-ci s’érigeait vers le sien pour croiser son regard. Et ce qu’elle taisait à cette seconde, ce qui pourtant pouvait se lire au fond de ses prunelles était cette question, celle de savoir pourquoi il était parti de cette manière, pourquoi il avait finalement quitté son appartement comme il l’avait fait, si c’était pour rechercher sa présence à nouveau, ce soir, ou bien encore un autre. Jouer au chat et à la souris…