Comme presque tous les jours depuis des mois, Zachary fut tiré de son sommeil –de toute manière très peu réparateur- par une effroyable douleur. Les yeux grands ouverts dans l’obscurité ambiante, la mâchoire serrée dans l’espoir d’étouffer un cri de souffrance naissant, il avait l’impression qu’on lui enfonçait une lame chauffée à blanc dans la cuisse. Il pouvait maintenant ressentir des sortes de décharges électriques récurrentes qui se propageaient, la douleur couvrant maintenant l’ensemble de sa jambes droite. Qui était l’imbécile qui avait un jour comparer son membre meurtrie à un poids mort ??! Quelque chose de mort ne pouvait décemment pas faire aussi mal !!
Dans des gestes précipités, Zach se redressa tant bien que mal sur son lit, s’aidant de ses coudes et de sa jambe valide pour y parvenir. Il étendit ensuite son bras vers la table de chevet, qu’il ne pouvait apercevoir dans la noirceur de la pièce, cherchant désespérément à atteindre l’interrupteur qui lui permettrait d’y voir clair.
Après quelques secondes de fouille intensive, qui lui semblèrent durer une éternité, il le trouva enfin et enclencha le mécanisme. Aussitôt, une douce lumière se répandit dans la petite chambre qu’il occupait depuis quelques mois maintenant, n’étant plus capable de rejoindre l’ancienne qui se trouvait au second étage.
Il abandonna bientôt l’interrupteur pour tendre cette fois le bras en direction de ses pilules que, pour une fois, il n’avait pas faite tomber en essayant d’allumer pour y voir quelque chose.
Zachary se saisit donc de la boîte et après en avoir ôté le couvercle, il s’empressa de la renverser jusqu’à faire tomber deux gélules dans le creux de sa main. Sans perdre un instant, il porta sa main à ses lèvres d’un geste vif, s’envoyant directement les pilules dans le gosier, ne prenant pas la peine de les faire passer avec de l’eau. Il avait trop mal pour se permettre de perdre du temps à se servir un verre. De toute manière, lorsqu’il accompagnait ses cachets d’un quelconque liquide, ça n’était généralement pas de l’eau…
Les dents serrées, le visage crispé par la douleur lancinante qui le parcourait et lui donnait envie de hurler, Zachary attendait patiemment que son traitement face effet. Après avoir déposé le reste de ses pilules sur le petit meuble en bois près du lit, il glissa ses mains sous le drap et massa lentement sa cuisse, comme on lui avait apprit à le faire, dans l’espoir d’atténuer un peu la souffrance qu’il éprouvait.
Tout en se faisant, le jeune homme tourna son regard clair vers le réveil posé sur la table de chevet. Le plus petites des deux aiguilles était tournée vers le chiffre 4, tandis que sa grande sœur oscillait maintenant vers le 2. Il avait dormi à peine 5 heures cette nuit encore, mais c’était largement suffisant. S’il le pouvait, le jeune homme ne dormirait plus du tout. Ca n’était qu’une perte de temps et le temps, il en manquait déjà cruellement...
Quelques minutes plus tard, sa douleur enfin passée, Zachary se pencha dans son lit, glissant sa main au-dessous afin d’attraper sa jambe de remplacement, en l’occurrence : une superbe canne en hêtre dont le pommeau en argent représentait un corbeau, symbole de la force…et de la vengeance.
S’aidant de sa béquille, il se dirigea donc avec lenteur vers la salle de bain où il comptait prendre une rapide douche et ainsi, terminer de se réveiller complètement.
Une fois cela fait, il quitta les appartements qui, il y’a un an encore à peine, étaient réservés aux invités de la famille, pour se diriger directement vers l’ancien bureau de son grand-père qui était devenu le sien au fil du temps.
Zachary entra dans l’immense pièce du rez-de-chaussée, appuya sur l’interrupteur pour l’éclairer avant de se diriger de sa démarche claudicante vers le large fauteuil de cuir vert où il avait l’habitude de s’installer pour travailler.
Poussant un soupire las, il déposa sa canne contre le vieux mais néanmoins solide bureau, puis se laissa tomber sur le cuir usé du siège, comme il le faisait chaque matin depuis qu’il était rentré de Californie, à ce détail près que ses journées commençaient de plus en plus tôt…
Dans un raclement de gorge peu discret, qui lui servit plus à rompre le monotone silence qui pesait qu’à s’éclaircir la voix, il mit en route l’unité central du pc dernier cri qu’il s’était procuré quelques semaines plus tôt.
Il patienta quelques secondes, tapotant nerveusement sur les touches de son clavier. Il ne fallait qu’une poignée de seconde à la machine pour démarrer, mais c’était déjà des secondes de trop. Des secondes perdues bêtement. Il aurait du le laisser tourner cette nuit. Dorénavant, c’est ce qu’il ferait.
Le temps qu’il parvienne à cette conclusion, tout était chargé et l’appareil était prêt à l’emploi. Zachary se saisit de la souris infrarouge et quelques ‘clic’ plus tard, il consultait sa messagerie qui contenait 3 e-mails de plus que la veille.
Le premier venait de Freddo, l’un de ses nombreux indics, alcoolique complètement barge qui adorait l’action mais n’avait visiblement pas beaucoup fréquenter les bancs de l’école…Il était néanmoins un chasseur redoutable et redouté dans le quartier où il sévissait. Il était réputé pour avoir la gâchette facile et obtenait par la force tout ce qu’il désirait. Facilement manipulable et très intéressé par tout ce qui était vert et orné du visage de Benjamin Franklin, il était donc très utile au jeune homme...
Durant sa dernière patrouille en ville, le chasseur qui travaillait pour lui depuis maintenant 2 mois, avait apparemment « entendu parler » d’une usine désaffectée dans un coin reculé, où un petit groupe de 4 vampires auraient élus domicile.
Il allait donc devoir envoyer du monde faire le ménage dans ce coin là d’ici quelques jours, avant que ce petit groupe ne décide de monter une confrérie. D’expérience, Zachary savait qu’il ne fallait pas laisser traîner ce genre d’affaires trop longtemps, tout comme il ne fallait pas laisser les assiettes sales s’entasser dans un évier trop longtemps. Une fois la crasse incrustée, il était bien plus difficile de s’en débarrasser.
Freddo était simplement chargé des repérages. Il était du genre à frapper et à poser les questions ensuite, quand plus personne n’est capable d’y répondre. Hors, Zachary avait besoin d’informations et il croyait au dicton qui disait que lorsqu’on voulait qu’un travail soit bien fait, mieux valait le faire soit-même…
Le jeune homme passa ensuite au second message qui, lui, avait été envoyé par un vieil ami du lycée qui travaillait aujourd’hui pour le gouvernement américain. Ce dernier n’était pas spécialement attiré par l’argent et ne collaborait pas avec Zach par amitié, mais simplement parce que le jeune homme avait en sa position quelques photographies plutôt compromettantes mettant en scène l’agent du FBI et une collégienne peu vêtue…
Il le prévenait simplement -par message codé évidemment- que les données sur Georgia McAdam avait belles et bien été supprimées. La jeune femme allait pouvoir reprendre une vie normale, autre part. C’était une bonne chose.
Le dernier message venait de Californie. De sa mère plus précisément. Il ne prit pas la peine de le lire et le supprima sans état d’âme, comme il avait l’habitude de le faire.
C’est à ce moment précis que Donovan choisi de faire son entrer, faisant craquer les lattes du vieux plancher du manoir sous son poids. Arborant son air pincé habituel, il portait un plateau d’argent surmonté d’une énorme tasse de café, de toast et d’un œuf. Zachary n’avait même pas besoin de lever les yeux pour savoir avec exactitude ce qui était au menu. C’était le même, tous les matins depuis des mois.
-« Je vous ai entendu vous lever. Je me suis dis que vous auriez sûrement faim. » Lança le majordome d’un ton morne tout en s’approchant du bureau pour y déposer le plateau.
Cette phrase là aussi revenait tous les matins…
Zachary leva enfin les yeux de son écran pour les tourner vers son domestique et lui adresser un faible sourire poli. Une fois de plus, il fut interloqué par la mine déplorable de son vieil ami. En un an, il avait énormément changé et paraissait maintenant dix ans de plus. Ses rides étaient plus accentuées, des cernes brunes tâchaient son visage et il y’a quelques jours de ça, Zachary s’était rendu compte qu’il ne restait plus un seul cheveux brun à l’homme. Toujours impeccablement coiffés vers l’arrière, ils étaient maintenant tous d’un blanc éclatant.
Le jeune homme sentit son cœur se pincer. Le temps était en train de faire son œuvre, mais il n’était pas le seul à blâmer pour l’état de fatigue du majordome.
Lui aussi avait une grande part de responsabilité dans tout ça. Il savait qu’il n’était pas facile à vivre, surtout depuis « l’accident » et il menait la vie dur au vieil homme.
Peut-être devrait-il le congédier, l’obliger à quitter Cleveland. Il avait déjà tenté de le convaincre qu’il serait mieux ailleurs, mais l’homme avait préféré rester, prétextant qu’il se sentait chez lui ici et qu’il n’avait nulle part où aller de toute manière.
Mais Zachary n’était pas dupe. Donovan restait uniquement pour lui par peur qu’il ne fasse une bêtise sans doute.
Donovan avait pourtant de la famille en Floride (avant tout ça, il s’y rendait d’ailleurs très souvent et disait à qui voulait l’entendre qu’il prendrait sa retraite là-bas) et les parents du jeune homme lui avaient proposés à plusieurs reprises de venir vivre avec eux en Californie pour gérer leur nouvelle maison, mais il avait refusé. Il avait refusé et maintenant, il était en train de s’éteindre à petit feu...
Zach était conscient que c’était en partie sa faute et qu’il ne devrait pas rester enfermé ici tous les jours avec lui, que son majordome serait plus à l’abri en dehors de la ville….mais il ne pouvait se résoudre à le laisser partir et il était finalement soulagé qu’il reste.
S’il venait à quitter le manoir, le jeune homme savait qu’il se retrouverait alors seul avec son envie dévorante de vengeance pour seule compagne, et il n’était pas sûr de pouvoir le supporter bien longtemps…
-« Merci Donovan » Répondit enfin Zachary d’un ton las.
-« Vous comptez sortir aujourd’hui ? »
-« C’est possible »
Un silence s’installa dans la pièce et après quelques instants, Zachary concentra à nouveau son attention sur son ordinateur, parcourant pour la centième fois au moins les dossiers qu’il avait monté ces dernières semaines, y ajoutant de nouvelles informations, prenant des notes sur le calepin qu’il dissimulait dans le premier tiroir de son large bureau.
Il lui fallait commencer à préparer sa sortie dans la planque désaffectée dont lui avait parlé Freddo, mais avant ça, il lui faudrait vérifier l’information.
Il fallait également qu’il réunisse un groupe de volontaires pour se charger d’éliminer les créatures pour lui et qu’il…
-« Vous ne mangez pas ? »
Zach s’arracha à ses pensées et tourna la tête vers Donovan, la mine interrogatrice.
-« Vous ne mangez pas ? » Répéta l’homme en désignant le plateau qu’il avait préparé.
-« Je n’ai pas vraiment faim » Répliqua Zach avant de se détourner à nouveau, replongeant son esprit dans ses préparatifs.
-« Vous devez pourtant avaler quelque chose Monsieur… »
-« Hinhin..je le ferai » Fit distraitement Zach en farfouillant sur son bureau à la recherche de la clé USB qui comportait les adresses de bons nombres de ses contacts.
-« Quand je dis ‘avaler’, je ne veux bien entendu pas parler de cette bouteille de Scotch que vous cachez dans le placard…Je parle de nourriture » Lança encore le majordome d’un ton entendu.
Zachary fit semblant de ne pas comprendre, continuant sa fouille en prenant un air très occupé. Son petit manège dura une poignée de secondes et après avoir poussé un long soupire de dépit, son majordome se résolu à quitter les lieux pour le laisser vaquer à ses occupations. Depuis un mois, il avait cessé de le sermonner, de lui dire que ce qu’il faisait n’était pas sain et qu’il allait finir par se tuer à la tâche pour une cause déjà perdue…
Lun 15 Oct - 5:44