Tenter le Diable est bien risqué. (Pv Tyler)

Six heures du matin.
Un réveil pour le moins brutal. La sonnerie de son portable avait retenti pendant plus de cinq minutes, sans aucune interruption. Ce qui révélait un vrai manque de motivation quant à l’idée d’aller à l’université. L’idée en elle-même ne la dérangeait pas outre mesure, mais se lever extrêmement tôt, ça… Ca posait un léger problème. Il fallait bien avouer qu’elle n’avait jamais été du matin. Les années avaient beau se succéder, le calvaire était toujours le même lorsque le moment de mettre un pied par terre était venu. Bon, elle n’avait pas trop à se plaindre. Aujourd’hui, elle n’avait cours que jusqu’à 14h30, et ensuite… Elle pourrait enfin souffler car c’était le week-end. Enfin, souffler est un bien grand mot. Il était rare qu’elle soit seule en fin de semaine. Tyler était toujours dans les parages, à croire qu’il programmait sa vie selon l’agenda de la demoiselle. Cela virait à l’obsession, mais bien sûr, Rain était trop gentille pour lui dire le fond de sa pensée.

Le reste de la matinée se déroula sans trop de difficulté, le plus dur étant derrière elle. Maintenant bien réveillée, elle était en mesure de suivre les différents cours qu’elle avait. La plus part d’entre eux formaient des blocs de quatre heures consécutives. Au final, elle n’avait pas tant que cela de matières, c’était le nombre d’heures accordées à chaque cours qui était hallucinant. Rain, du genre à se plaindre ? Non pas vraiment… Dans la mesure où elle avait choisie sa filière et que personne ne lui imposait de directives, elle ne pouvait s’en prendre à personne si ce n’est elle. Locsfield Mansion University était suffisamment grand pour contenir tous les élèves de plusieurs écoles. Chaque château était destiné à une matière précise, et un choix de carrière bien défini. La jeune femme n’avait pas eu de mal à y entrer et se faire une place. Bien que les élèves y circulent par centaines, elle avait su se faire de nouveaux amis, dans la même classe qu’elle. Ce qui n’était, à priori, pas au goût de certains. Ses parents, eux, s’en réjouissaient. Mais qu’en était-il de Tyler le pot de colle ? Son regard sauvage à certains moments le trahissait. Colérique et jaloux, voilà ce qu’il était. Sans doute aurait-il voulu qu’elle lui accorde tout son temps libre, mais il n’était pas sans savoir que cela n’était pas possible. Et malgré cela, il ne se gênait pas pour continuer de l’épier sans cesse et à tout va. Sa compagnie n’était pas désagréable, mais elle demeurait oppressante.

Enfin, arriva l’heure de la délivrance. Le petit groupe d’amis dont faisait partie Rain comportait cinq membres. Deux filles et trois garçons. Il y avait Hannah, Christopher, Eliott, Jeremy et elle. Comme des jeunes de leur âge, ils étaient proches et passaient énormément de temps ensemble. Même si la jeune femme n’était pas toujours de l’aventure pour leurs diverses excursions. La dernière idée en tête qu’avait eu Jeremy, c’était une soirée monumentale pour son anniversaire. 23 ans, ça se fête non ? Il voulait inviter une bonne centaine de gens, dont il devait ignorer les prénoms de la moitié, tous piochés à l’université. Rain n’avait toujours pas donné sa réponse, alors que l’événement avait lieu demain. Savez-vous pourquoi elle hésitait encore ? A cause de Tyler, bien entendu ! Elle ignorait ce qu’il faisait à l’heure actuelle, et quels étaient ses projets pour le week-end à venir. Voilà qu’elle en venait à régenter sa vie selon les disponibilités et désirs de monsieur. On ne le dira jamais assez, elle était effectivement trop gentille… Mais à vouloir faire plaisir à tout le monde à la fois, elle s’était mise dans une drôle de situation.

« Hey Rain ! Alors c’est d’accord pour demain ? Tu viens ? Jeremy, un ami, venait de courir derrière avant de passer son bras autour de ses épaules pour marcher à ses côtés.
Je ne sais pas Jeremy… Bougonna t’elle d’une voix à peine audible.
Comment ça, tu sais pas ? C’est oui ou non, décides toi ! N’oublies pas que tu avais promis de me faire un strip-tease pour mon anniversaire... Le jeune homme lui lança un sourire à la fois charmeur et amusé.
Oui, dans tes rêves certainement ! Rétorqua t’elle avant de pouffer de rire. Alors que tous avaient le sourire, Rain de son côté, perdit progressivement le sien. Dans son champ de vision venait d’entrer une personne qu’elle aurait préférée ne pas croiser. En face d’elle, à quatre mètres tout au plus, se trouvait Tyler. Il ne souriait pas. Pourquoi n’était-elle pas étonnée ? Enlèves ta main de là Jeremy ! S’écria t’elle alors subitement. Son cri ressemblait plus à une supplication qu'à une recommandation.
Hein ? Quoi ? Mais qu’est-ce qui te prend ? Tu veux plus qu’on te touche maintenant ? Tu sais, mes mains sont cleanes… Le garçon leva un sourcil, tout en la regardant d’un air surpris.
Si c’était que ça... Enlèves-la je te dis. S'il te plaît... Etant donné qu’il ne semblait pas réagir à ses demandes, elle lui ôta elle-même sa main avant que Tyler ne vienne certainement le faire. Ils étaient encore dans l’enceinte de l’école, et elle ne voulait surtout pas de scandale…
T’es vraiment bizarre toi. Ajouta Jeremy avant d’hausser les épaules d’un air las. Décidément, il ne comprendrait jamais rien aux filles. »

Le soleil pénétrait par flots insistants dans la pièce, dévoyant ses rayons sur le bois clair du bureau, effleurant par instant des doigts qui tapotaient faiblement un verre de scotch. Unique, il n’avait pas encore été touché, le subtil liquide persistant dans sa prison transparente alors que par instant il semblait pivoter sur lui-même, l’ambre tanguant dangereusement dans le récipient.

BabyGirl dit :
Pourquoi est-ce que je ne t’ai pas rencontré plus tôt ?
BabyGirl dit :
J’aurais tellement voulu te connaître avant tout ça…
Sweety dit :
Il est délicat de vouloir modifier le temps, tu sais.
BabyGirl dit :
Tu penses que j’arriverai à l’arrêter un jour ?
Sweety dit :
Les ordinateurs sont différents des heures…
BabyGirl dit :
Alors pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je peux te voir à cette seconde ?

Une mèche retombant négligemment sur son visage, le jeune homme arqua sensiblement ses lèvres sous un sourire railleurs, avant de porter pour la première fois son verre à ses lèvres sous le souffle de nouvelles paroles : « Mensonge… Ce n’est pas beau de mentir Emilie. ». L’inconsciente adolescente avait trouvé en lui l’oreille attentive qu’elle n’arrivait à trouver où que ce soit. Ses parents imaginaient qu’elle avait besoin d’être soignée, qu’elle était malade, et Tyler s’était trouvé là, soutenant la frêle jeune fille dans son désespoir, devenant un être qui comptait énormément à ses yeux. Et peu à peu… il s’était glissé à la manière du croquemitaine dans le creux de son existence, sans qu’elle n’imagine avoir laissé un monstre s’introduire parmi celle-ci. Si beau… si doux… elle sentait son cœur palpiter d’une manière irréfléchie pour ce garçon aux traits anguleux mais séduisants. Rêvait-elle de ses lèvres parfois ? Il en était certain sous les attentions et les paroles glissées parfois avec un peu trop d’attention lorsqu’ils se croisaient en réalité. « Je suis le loup et tu es l’agneau à sacrifier sur l’autel du jour. » murmura-t-il à nouveau, avant de jeter un regard sur l’horloge de l’écran. Il allait être l’heure de partir…

Sweety dit :
Peut-être que tu progresses, voilà tout ;) . Qu’est-ce que je fais là ?

Il venait de se lever, passant son manteau tout en guettant l’écran et la fenêtre msn de Miss Corwdell, alors qu’il arrangeait le col de celui-ci sous des gestes appliqués, son esprit dérivant déjà vers une autre personne qu’il allait retrouver de ce pas. Il n’avait qu’à fermer les yeux pour redessiner le rose de ses lèvres charnelles, la candeur de sa taille ingénue et fluette, la finesse de ses doigts qu’il enserrait parfois… mais la petite blonde qui lui parlait à l’autre bout du fil, laissa de nouveaux mots s’afficher sur l’ordinateur.

BabyGirl dit :
Tu lèves les yeux au ciel en te disant que je suis folle.
Sweety dit :
Touché. Mais je vais devoir te laisser Petite Sorcière.
BabyGirl dit :
Déjà ?
Sweety dit :
Le temps passe si vite lorsque l’on ne s’ennuie pas. Bye ^^.
BabyGirl dit :
Non s'il te plait.... reste encore un peu.
Sweety dit :
Impossible.
BabyGirl dit :
Bon -_-"
Bisoussssss alors *-* <333 *calin*
Vous êtes déconnecté.

« Menteuse… » souffla-t-il à nouveau alors qu’il éteignait l’ordinateur, tout en se dirigeant vers la porte d’entrée. Bientôt il la tuerait sous son regard effaré qui ne comprendrait pas pourquoi il s’en prenait à elle… elle qui aurait tout fait pour lui, allant jusqu’à sacrifier sa misérable vie dont il n’avait cure. S’engouffrant dans sa porche, le sorcier laissa le vent siffler sur la carrosserie alors qu’il jetait fréquemment de petits coups d’œil à sa montre pour vérifier qu’il ne raterait pas celle qu’il allait de ce pas retrouver. Et l’université se dessina bientôt à son regard sous la forme d’un imposant château, jusqu’à ce qu’il immobilise son véhicule sur l’un des parkings, avant qu’il ne le déserte, sachant parfaitement où se rendre, comme s’il avait étudié ici, ou comme s’il avait également parfaitement retenu l’emploi du temps d’une certaine personne.

S’adossant contre un arbre, il observait à présent le ciel en attendant sa venue, suivant des yeux le vol d'un petit moineau qui paraissait si petit, si fragile surtout, proie parfaite pour un petit jeu temporaire dans l’optique de le faire patienter. Mais à chaque fois qu'il entendait du bruit, que ce soit des paroles ou bien des pas, il tournait la tête dans la dite direction, même s'il savait que ce n'était pas elle, qu'il ne l'avait pas ressentie. Pourtant, son coeur paraissait cesser de battre une courte seconde, si brève, invisible aux regards des autres.

Puis ce fut elle, enfin, ses longs cheveux retombant sur ses épaules, le vent les charriant d'une manière douce et paisible, avant qu'un garçon ne l'interpelle en venant placer son bras sur ses épaules, l'attirant près de lui. Etait-ce un crime ? Pas aux yeux du monde, mais aux siens, oui. Le sourire qui s'était dessiné sur son visage s'effaça pour laisser ses mâchoires se contracter, à l'image de ses poings. Le fumier ! Qui l'avait autorisé à poser une main sur elle ? Déjà ses prunelles se faisaient plus sombres, alors qu'il n'effectuait pas un geste. Juste... elle le vit enfin, intimant au garçon de la laisser en paix, et il ne le voulait pas de toute évidence, incitant le regard de Tyler à s’assombrir plus encore. Mais ce fut elle qui mit un terme à cette étreinte, comme si subitement, le fait que le sorcier puisse la voir ainsi la gênait, mais pas auparavant. Lorsque le chat n’est pas là, les souris dansent paraît-il… il venait d’en avoir le triste exemple à cet instant précis. Ce fut donc d’un pas sûr qu’il s'avança, s'apprêtant à les rejoindre, sous un sourire qu’il força à parer ses lèvres.

« Bonsoir… glissa-t-il d’un timbre à première vue plutôt calme.
- Tiens, salut, on se connaît ?
- Je n’ai pas cet honneur. Toujours aussi jolie… ajouta-t-il à l’adresse de la jeune fille sous un sourire plus chaleureux, malgré l’éclat mesquin de son regard.
- Je m’appelle Jeremy, et toi ? T’es un ami de Rain ?
- Tyler. En quelque sorte, enfin, on peut dire ça, non ? demanda-t-il à l’intéressée en inclinant sensiblement son visage sur le côté. »

Tout en parlant, il s’était rapproché de la jeune fille, se glissant finalement entre elle et une autre demoiselle qui n’avait pas l’air de le trouver si insupportable que cela. Si seulement elle pouvait recommander à sa jeune amie de ne pas le rejeter inutilement, juste parce qu’il paraissait l’apprécier un peu trop. Il était plutôt pas mal non ?

« Moi c’est Hannah.
- Enchanté, répondit-il en ne quittant que brièvement sa surveillance accrue de sa petite princesse. Un nouveau geste inconsidéré et il sévirait, c’était ce que semblait dire son regard, ainsi qu’il mettait en garde l’autre garçon, tout en paraissant pourtant des plus courtois. On ne traînera pas trop si tu veux bien.
- Vous faites quelque chose de particulier ce soir ? »

Paraissant quelque peu agacée et gênée par à la situation, Rain baissa le regard en voyant les centimètres qui la séparaient de Tyler s’amenuiser à vue d’œil. Il l’avait vu. Il avait remarqué le bras de Jeremy autour de ses épaules et leurs deux corps légèrement rapprochés. Pourquoi ne pouvait-il pas comprendre, comme tout le monde, qu’une amitié était possible entre un garçon et une fille ? Il n’existait pas uniquement des attirances. Malheureusement, sous l’effet d’une certaine panique et d’une montée trop forte de stress, elle avait repoussé son camarade sans plus de cérémonie. Son geste n’était pas passé inaperçu. Elle essayait en vain depuis quelques temps de calmer les ardeurs de Tyler. Et aujourd’hui, on aurait pu croire que c’était tout le contraire. Son attitude prouvait une gêne bien réelle et présente. Alors qu’en réalité, elle ne lui devait rien… Alors pourquoi ? Incontestablement, elle n’en avait pas la réponse elle-même. Les deux jeunes gens ne partageaient aucune idylle, ou alors à sens unique. Et pourtant, Rain agissait comme si elle se devait de faire attention aux gestes qu’elle pouvait avoir envers certains garçons, comme si les étreintes et autres marques d’affection n’étaient réservées qu’à une seule et unique personne : Tyler. Chose qui était pertinemment inexacte. Ils étaient amis, voilà tout. Bon d’accord, peut-être des amis proches. Mais cela s’arrêtait ici, même si le jeune homme faisait fi de ses remarques, comme si lui seul détenait les clefs de leur relation. Bien évidemment, il n’était pas repoussant, et toute jeune femme normalement constituée se sentirait fondre sous ses regards ardents. Mais Rain, elle, était une fille plutôt difficile en affaire et en amour. Il fallait dire que Guillaume occupait encore ses pensées malgré elle, et se laisser aller à certains jeux frivoles avec Tyler n’était pas chose aisée. Même si au fond d’elle, elle semblait le nier, il lui plaisait d’une certaine manière. Son corps avait beau le repousser à divers moments, ses réactions démontraient bien qu’il y avait un attachement concret. Mais sans doute par peur de s’investir, elle reculait à chaque pas qu’il faisait dans sa direction, ce qui en temps normal aurait du l’éloigner d’elle. Etrangement, cela avait provoqué l’effet inverse. Désormais, il s’accrochait à elle telle une sangsue avide de sang. Dans son cas, il ne demandait que de la tendresse, enfin… Etait-ce là l’idée qu’elle se faisait de lui. Préférant voir le bon côté de chacun, Rain le voyait comme quelqu’un de fougueux et passionné, en quête d’affection. Qu’elle ne pouvait manifestement pas lui refuser. Lui dire clairement les choses lui était impossible. Cela devait probablement cacher d’autres choses. Ce qu’elle pensait être vrai ne l’était pas en réalité. Peut-être même était-elle amoureuse ? Allons bon. Il ne fallait pas aller trop loin tout de même. Le repousser, elle en était incapable, c’était la seule chose à retenir.

Enfin, il arriva à leur hauteur, son cœur s’arrêta l’espace de quelques secondes qui suffire à lui donner la nausée. Se rendre malade à ce point par sa simple présence, jamais elle ne s’était comportée ainsi pour quelqu’un, et encore moins pour un garçon. Tyler avait un petit quelque chose en plus qui le rendait unique et différent des autres. Il se plaisait à la courtiser, à la mettre parfois sur un piédestal comme une vraie princesse. C’était agréable, mais affreusement gênant au final. Il échangea ensuite quelques paroles avec ses amis, chose qui la rendait d’avantage anxieuse. Elle ne savait jamais à quoi s’attendre avec lui. C’était noir ou blanc, mais jamais gris. Elle n’était pas à l’abri de quelques paroles fortes désagréables qu’il aurait pu vociférer à l’égard de Jeremy. Mais son jour de chance semblait être arrivé, il ne fit aucun scandale en public, sans doute se contenait-il pour plus tard. Elle ne fit aucune remarque pendant leur brève discussion, elle n’émit pas même l’ombre d’un mouvement, le laissant s’immiscer entre elle et Hannah. Cependant, en voyant son amie lui faire du gringue d’une façon plus ou moins mal dissimulée, elle lui fit les gros yeux. Elle ne manquait pas d’air celle-là ! Simple ami ou pas, elle pouvait bien se garder de le draguer ouvertement avec des regards pleins de sous-entendus. Pour plusieurs raisons, elle vint discrètement se pelotonner contre Tyler, passant lentement son bras autour de sa taille. D’un geste doux, elle accota son visage sur son épaule, arborant alors un sourire assuré. Une pointe de jalousie l’avait contrainte à agir de la sorte, mais elle voulait aussi se faire plus ou moins pardonnée par le jeune homme pour son geste passé qu’il jugeait sûrement de mal placé. Elle tourna alors le visage vers Jeremy avant de lui répondre :

« On ne sait pas trop. Il faut encore qu’on y réfléchisse. Quel beau mensonge que voilà Rain. Pour l’heure, ils n’avaient rien prévu à moins que Tyler ne tienne à lui faire une surprise, elle voulait seulement ne pas démontrer la relation ambiguë et étrange qui les liait.
Vous… Intervint alors Eliott qui demeurait passif jusqu’à présent, mais à qui l’accolade n’avait pas échappé. Mais Rain l’interrompit aussitôt en reprenant la parole.
On va vous laisser, j’ai quelques courses à faire. Je vous dis à lundi alors ! Comme si elle avait un train à prendre, elle se contenta de leur sourire rapidement avant d’entraîner Tyler un peu plus loin, en direction de sa voiture. Tu aurais pu m’attendre sur le parking, tu sais. Je n’aurais pas tardé. Elle releva la tête vers lui et le regarda timidement. Enfin, je trouve ça très gentil que tu sois venu me chercher… Rattrapes-toi comme tu peux, tu as raison, pensa t’elle alors. Jamais deux sans trois, elle pouvait encore commettre une bourbe, la quatrième en revanche ne serait pas pardonnable par contre. Peur du jeune homme ? Oui, un peu… Dire le contraire serait un mensonge. Mais bien souvent cette crainte se transformait en compassion, il avait seulement besoin d’amour… Naïve ? Peut-être bien quand elle était avec lui. Après tout, elle ignorait tout de lui, sa vraie nature y comprit. Elle connaissait son métier, son amour de l’écriture, mais sa vie personnelle et passée il n’en faisait jamais référence. Il était un vrai mystère ambulant, mais c’est ce qui était si attrayant chez lui. »

Si elle s’était gardée de répondre à la question qu’il lui avait adressé, cela permit ainsi à Hannah de s’introduire dans la conversation, le frôlant d’un geste parfaitement étudié, souriant sans doute un peu trop pour que cela ne soit qu’une simple attitude courtoise… La laissant hausser les épaules au regard que lui jeta Rain, comme si cela lui importait peu, et si l’inconnu n’avait d’yeux pour sa petite pluie, de son côté, elle comptait bien faire changer les choses. Peut-être même avait-elle reconnu l’écrivain qu’il était, puisque sa photo se trouvait au dos de ses livres, de même que le véhicule qu’il conduisait ne pouvait décemment passer inaperçu, et attirait nombre de convoitises plus ou moins légitimes. Malheureusement pour elle, ce fut la sorcière la plus rapide, celle qui à la stupeur invisible de Tyler se glissa contre lui, jusqu’à venir déposer son visage sur son épaule. Instinctivement, d’une manière presque involontaire, de celle qu’il n’aurait jamais pensé à qualifier de coutumière pourtant, il laissa son bras entourer ses épaules comme s’il cherchait à la protéger du reste du monde. Et si la terre se mettait à trembler, il la préserverait du chaos, comme pourrait le faire le soleil pour sa douce lune éternelle qu’il n’arrivait à esquisser plus de quelques instants. La comparaison valait son pesant d’or, indubitablement réelle, il avait sans cesse l’impression de courir contre le temps et les heures qui s’écoulaient lestement, et ce dans le but de la rattraper.

Un petit sourire étira alors ses lèvres, le premier qu’il arborait véritablement depuis qu’il venait de les rejoindre, laissant sous entendre qu’il était satisfait de ce qu’il se passait à cette seconde, tandis que ses lèvres s’apposait brièvement sur la chevelure de la jeune fille sous un geste tendre. Il ne l’était pas, et pourtant, quiconque les aurait vu ainsi ne pouvait penser autre chose que le fait qu’il formait sans doute un couple. Risible lorsque l’on savait qu’elle ne cessait de le repousser, lui affirmant qu’il lui fallait du temps… comme le jour de leur premier baiser, de leur première étreinte, cet instant qui l’agaçait encore à son simple souvenir. Mais ne s’attardant pas sur ces pensées néfastes, Tyler l’écouta répondre à son ami, conscient que sous le mensonge qu’elle venait d’effectuer, la demoiselle se destinait à passer la soirée avec lui, chose qu’il avait effectivement espéré. Eliott… un autre garçon du groupe avait paraît-il décidé de relever cette étrange façon de se tenir de Rain en sa présence, avant que cette dernière ne reprenne immédiatement la parole, laissant Tyler esquisser l’ombre d’un rire oscillant entre l’amusement et la mesquinerie sous l’attitude qu’elle empruntait alors tout en l’entraînant loin d’eux, tandis qu’il les saluait d’un vague geste de la main négligeant.

« J’en avais envie… mais peut-être que tu as honte de moi ? demanda-t-il d’une voix sombre, bien que loin d’être attristée, avant de poursuivre sur le même ton. Pourtant ton amie paraissait heureuse de me croiser… »

Comme tant d’autres filles le seraient en vérité… Tyler n’était pas repoussant, loin de là, même s’il n’avait rien d’un mannequin, il avait ce naturel, et ce regard à la profondeur insondable qui paraissait se glisser jusqu’à s’emparer de votre âme. Et si des garçons ne pouvaient que se retourner devant la douceur et la finesse des courbes de la jeune fille, il en était de même pour lui sous l’attention du sexe faible, la preuve s’en était faite encore. Mais ce qui l’avait le plus séduit dans cette conversation, c’était bel et bien le regard d’Hannah devant l’attitude de Rain, plus encore lorsqu’elle avait décidé de ne le garder que pour elle.

« Qu’est-ce que tu comptes leur dire lundi à mon sujet ? »

C’était sur cette question intéressante et sulfureuse qu’il se dirigeait, n’ayant en aucun cas oublié le bras qui s’était déposé sur l’épaule de la jeune fille, et veillerait bien à ce que si ce Jérémy réitérait son geste, il le regrette amèrement. D’ailleurs à cette seconde, il était fort de constater que le petit groupe parlait d’eux… d’une évidence troublante pour lui, sans doute Hannah ulcérait-elle qu’elle ne leur ait jamais parlé de lui, ou bien qu’elle soit parti en l’éloignant comme si elle craignait que l’on puisse le lui dérober. Eliott, de son côté, devait exprimer sa théorie sur la question, recommandant à la jeune fille d’oublier. Etait-ce cela ou bien imaginait-il dans une parfaite illusion tout cela, comme s’il écrivait ici un nouveau livre ? Mais viendrait ensuite l’instant où il lui glisserait la possibilité de sortir ce soir, de l’emmener autre part, loin de Cleveland et son ambiance détestable par instant, loin de la vie insipide que la jeune fille possédait lors de ses journées de cours.

« Que nous sortons ensemble pour éviter que ton amie me poursuive de ses assiduités ? lui murmura-t-il en glissant ses lèvres dans son cou, sous un imperceptible baiser qui se dissipa bien rapidement. »

I'm not the type to get my heart broken
I'm not the type to get upset and cry
Cause I never...

Les pensées de Tyler étaient exactes. A peine s’étaient-ils éloignés d’eux que le petit groupe d’amis s’était empressé de faire des deux jeunes gens un sujet attractif. Du moins Hannah fût la première à remettre le couvert. Observant son amie quitter progressivement l’université, sa nature de commère prit immédiatement le dessus. Fanatique des histoires croustillantes chez les autres, en avoir une servie à domicile et sur un plateau d’argent semblait excitant. Cependant, elle devait bien avouer que l’étonnement était à son comble, pour tous les quatre. Même si Rain était une fille réservée, elle parlait plus ou moins d’elle, chacun se racontait les derniers potins et les nouveautés dans leurs vies d’étudiants. Aucun n’avait eu vent d’une quelconque amourette qu’elle pourrait avoir avec un éventuel Tyler. Avec personne d’autre d’ailleurs.

« Tu le savais toi qu’elle sortait avec Tyler Walsh ? Lâcha Hannah d’une voix rêveuse, tandis que ses yeux se perdaient en direction du couple, car il en s’agissait d’un à ses yeux.
Comment tu connais son nom de famille ? Rétorqua Eliott d’une voix fluette, loin de connaître l’identité du jeune sorcier.
Tu ne vas pas me dire que tu ignores qui il est ? Son visage ne te dit rien ? Elle leva les yeux au ciel, réellement désespérée par ce manque de culture. Eliott ne sortait donc jamais de chez lui ? Il était pourtant étudiant, la lecture devait obligatoirement l’intéresser. Et puis, il n’y avait pas trente écrivains plus ou moins connus à Cleveland. Ses livres figuraient à toutes les librairies de la ville. En plus de manier la langue et les mots à la perfection, il était d’un physique tout aussi exceptionnel. Oui… Hannah était une fervente admiratrice de ses bouquins, contrairement à certains, et elle ne s’en cachait pas.
Non, désolé. Ajouta le jeune homme, presque navré de ne pas avoir la chance d’en savoir plus sur lui.
Tu sais que tu es un beau crétin Eliott ? Hannah lui donna une petite claque amicale sur la tête avant d’ajouter : Il écrit des livres. Ce n’est pas n’importe qui pour moi… Rain est une petite veinarde, et une vilaine menteuse aussi ! Elle nous avait juré n’avoir personne dans sa vie. Tu m’étonnes qu’elle veuille garder secrète son idylle. Lâchant alors un petit soupire, elle se saisit du bras de Jeremy avant que le groupe ne se dirige vers un autre coin du parc bordant l’université, un sujet prometteur à la bouche. »

Toujours serrés l’un contre l’autre, Tyler et Rain poursuivaient leur chemin, se rapprochant sensiblement du parking de l’école. Le bras du jeune homme entourant ses épaules fragiles et le sien enserrant sa taille avec étreinte. Ainsi enlacés, il donnait l’illusion d’un petit couple parfait, jeune et aimant. Cependant le mot « compliqué » faisait parti de leur lot quotidien.

« Tu le saurais si j’avais honte de toi… Répondit-elle à sa demande, qui ne devait probablement pas attendre de réponse. C’était tellement évident… Il pouvait s’enticher d’elle autant qu’il le désirait, si elle appréciait une compagnie elle le faisait savoir. En revanche, elle ne perdait pas son temps avec des gens qui ne l’intéressaient guère. Hannah ? Le prénom fût prononcé avec une pointe d’étonnement. Tu serais bien déçu d’en apprendre d’avantage sur elle… Curieuse manière de décrire l’une de ses meilleures amies. Elle ne supporte pas le fait d’être seule, alors toi ou un autre… C’est la même chose. Et ne crois pas que je dis ça par jalousie, c’est la stricte vérité. Elle est quelque peu… Volage si tu vois ce que je veux dire. Normal qu’elle t’ait parue heureuse. Elle était aussi très intéressée, tes livres la fascinent. Peut-être était-ce mal placé de dire de telles choses dans le dos de Hannah, mais il fallait appeler un chat un chat. La vie d’étudiante avait parfois du bon, et son amie était de nature fêtarde, le genre de fille qui allait un peu à toutes les soirées organisées. »

Une fois sur le parking, Tyler lui posa une autre série de questions. A croire qu’elle était à un interrogatoire… Que comptait-elle dire à ses amis lundi ? Bonne question. Chose à laquelle, elle n’avait pas encore eu le temps de réfléchir. Même si en premier lieu, sa demande paraissait froide en un sens, ce qu’il ajouta la fit sourire d’amusement. Ils s’arrêtèrent à côté de la voiture du jeune homme tandis que son visage s’était égaré dans son cou. Avec douceur, elle glissa ses doigts à travers ses cheveux bruns avant de passer ses bras autour de son cou et de venir appuyer son front contre le sien, dans un face à face intimidant. Soufflant sur ses lèvres pour le taquiner, elle se risqua à un semblant de réponse.

« Tu aimerais m’entendre dire ces mots, pour une toute autre raison… N’est-ce pas ? Ces paroles s’échappèrent d’entre ses lèvres dans un murmure, comme s’il s’agissait d’une confidence… un secret qui ne les concernait que tous les deux. A dire vrai, elle semblait faire abstraction de tout ce qui les entourait. La jeune Sorcière se permit de lui voler un rapide baiser avant de s’éloigner de lui, sachant pertinemment qu’il aurait préféré faire durer ce contact. Elle posa son index sur la carrosserie de la porche et fit le tour de celle-ci, un sourire enfantin aux lèvres. Sa voiture était vraiment très belle… Cela changeait du gros 4x4 boueux familial. Tu me laisseras la conduire un jour ? Elle venait de s’arrêter devant la porte du côté passager et fixait Tyler avec intérêt. »

Avoir raison ? Il s’en moquait bien, comme s’il avait la désagréable habitude de connaître les réactions des autres pour les avoir trop longuement étudiées brusquement. Et qu’il se trompe ou non, il savait que certaines choses véridiques sortiraient de ses pensées. Tout comme pour Emilie, l’adolescente supplierait forcément, le suppliant de l’épargner, lui soufflant peut-être un ‘je t’aime’ éperdu, imaginant que cela le toucherait à l’image de ce garçon adorable pour lequel il s’était fait passer. Et sous la douleur qui consumerait son corps et son cœur, sans doute réaliserait-elle qu’elle s’était trompée, comme sous les paroles d’une chanson… elle aurait confondue une étoile avec un réverbère, sauf qu’ici, ce ne serait pas seulement des larmes qu’elle verserait, mais bel et bien son sang qui deviendrait sa propre douleur, celle qui conclurait son existence. Tout comme Hannah, que dirait-elle si elle savait d’où lui venait l’inspiration pour ses livres ? Serait-elle prête à y apporter une contribution toute autre que le fait de lover ses courbes contre les siennes sous une sueur perfide qui éloignerait Rain si elle venait à l’apprendre ? Aussi la tuer, la priver de son souffle, ne serait sans doute pas une très bonne idée, d’autant plus qu’elle ne possédait pas l’ombre d’un pouvoir, plus humaine qu’elle il n’était sans doute pas possible de l’être.

Puis, devant la première réponse de la jeune fille, il ne pût que sourire un temps soit peu, même si le terme s’enticher lui déplairait outrageusement, il n’était ni un petit toutou serviable, ni un ange, contrairement à ce que cette dernière possibilité impliquait dans l’inconscient de la demoiselle. Même s’il lui faisait peur, jamais elle ne pourrait imaginer qu’il était la ‘créature’ qu’autrefois ses parents étaient venus chasser, ce petit garçon que la police avait alors confié à l’assistance sociale. Oui… les deux enfants s’étaient croisés alors, mais Rain n’était qu’une toute petite chose fragile, car si lui n’avait que six ans, prétendant ne se souvenir de rien, elle n’en avait que trois. S’étaient-ils ensuite recroisés ? Seul le destin aurait pût le dire, puisque peu à peu, Tyler était devenu bien plus prudent, veillant à sa propre sauvegarde avant tout. Mais à présent il l’écoutait parler de son amie, laissant l’un de ses sourcils se soulever légèrement : tient donc, son amie changeait de partenaires comme de sous-vêtements ? Peut-être était-ce bon à savoir alors… Mais la sonnette d’alarme parut retentir dans sa tête, lui interdisant cette option car il perdrait alors toute chance d’atteindre Rain si cette dernière venait à l’apprendre. Oui, leur relation était compliquée, et il n’arrivait à saisir où elle voulait exactement aller… comme toujours, elle ne cessait de souffler le froid et le chaud, tel un jeu qui ne le faisait que passablement rire. Sa petite pluie ne voulait ni être avec lui, et pourtant elle ne supporterait pas qu’une autre puisse le toucher à la vue de sa jalousie première. Etait-il ainsi sensé l’attendre éternellement ?

« Je devrais peut-être lui faire une séance de dédicaces personnelles en ce cas… commenta-t-il, un brin d’amusement au fond de sa voix qui laissait deviner qu’il ne cherchait qu’à l’ennuyer. »

Mais bientôt le parking se dessina devant eux, les laissant s’y introduire jusqu’à parvenir à la porche, synonyme de ses lèvres soyeuses qui s’étaient plût à redécouvrir la chaleur de sa peau si délicate. Et la suite ne tarda pas à le faire sourire plus encore, ses mains, distraitement, s’étaient permises de l’enlacer, tandis que son front s’apposait au sien, ses doigts courrant sur sa taille. Tout cela avait une atmosphère joueuse qu’il appréciait tout en la détestant, tout jeu devait avoir une conclusion, et celui-ci s’éternisait depuis si longtemps qu’il en ressentait un fond d’agacement déplaisant. Et sous ses paroles, son regard s’égara plus intensément dans le sien, sans qu’il ne prenne la peine de répondre, puisqu’elle connaissait déjà de la teneur de ce qu’il pourrait dire. Pourquoi ? Parce qu’il espérait que cela soit véritablement le cas, parce qu’il supposait que sa jalousie n’était pas seulement motivée par le fait qu’elle avait pris l’habitude de ne l’avoir que pour elle. Ce qui, de toute manière, était en parti faux puisqu’il se rapprochait d’autres personnes, pour les tuer il est vrai, mais il le faisait tout de même. D’ailleurs… Emilie verrait sa douce existence se ternir dans les jours à venir.

Ses lèvres lui avaient ensuite dérobé un baiser, le laissant mordiller faiblement les siennes sous l’indécision qui bataillait en lui. La laisser s’enfuir une nouvelle fois ou la retenir. Il y avait des jours comme ceux-là, où malgré le fait qu’il la veuille à tout prix, il se souvenait de ce qu’elle était, de cette nature qui aurait autrefois dût le pousser à la tuer cette petite télékinésiste. Mais devant ses nouvelles paroles, un sourire taquin vint s’y dévoiler, lui faisant oublier le reste, alors qu’il se rapprochait de sa propre portière, s’accoudant sur le sommet du véhicule tout en la regardant fixement, dans toute l’étrangeté de son caractère.

« Ca dépend, qu’est-ce que tu serais prête à faire pour que je te concède un tel privilège ? »

Il se doutait bien qu'elle ne lui accorderait pas ce qu'il attendait avec tant d'impatience, et se montrerait plus conciliant sans doute, bien qu'il n'aime pas prêter ses affaires, à la manière d'un gosse qui se montrait d'un égoïsme sans borne.

Tyler était unique. Il savait la faire sourire comme il était capable de la mettre en colère. Tantôt souriant et affectueux, tantôt colérique et froid. Il avait un fort, que dis-je, un foutu caractère. Mais n’était-ce pas là une qualité plus qu’un défaut ? Rain aimait les garçons qui avaient de la personnalité, et lui, il n’en manquait pas. Peut-être même en possédait-il un peu trop. Extrême dans chacune de ses réactions, il ne semblait pas toujours vivre sur la même planète qu’elle. Il avait un charme certain, dont elle ne pouvait nier apprécier. Le fossé invisible qui les séparait diminuait chaque jour un peu plus, réduisant millimètre par millimètre la distance. Cela faisait déjà un an qu’ils se voyaient régulièrement et l’écart qui les empêchait de se toucher n’avait pas encore disparu. Du temps, elle en demandait encore et toujours. Etait-ce mal de le faire patienter autant ? Probablement. Mais elle ne le faisait pas attendre pour rien. Leur complicité les conduirait forcément à une douce histoire commune, brève ou longue, idylle il y aura. Quand ? Seuls les événements futurs le diront. La naïveté ne faisait pas partie de ses traits de caractère, or elle l’était forcément pour rester aux côtés d’un tel individu. Il avait su se jouer d’elle. Son rôle, il le connaissait sur le bout des doigts et l’interprétait à la perfection. Jamais elle n’avait douté de lui, même s’il l’effrayait de temps à autre. L’idée même qu’il soit un meurtrier sanguinaire ne lui venait pas à l’esprit, c’était bien trop absurde. Pourtant, elle n’était pas sans savoir qu’il agissait parfois de façon bien étrange, voire violente. Cependant, elle ne voyait pas en lui une créature de la nuit, ni un Sorcier d’ailleurs. En réalité, il la connaissait par cœur, il pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert… Elle ne parlait pas de ses dons, alors qu’il était déjà au courant. Mais comment réagirait-il le jour où, emportée par une émotion trop forte, des objets exploseraient autour d’eux ? Certes télékinésiste, elle était loin de maîtriser son pouvoir.
Etait-il seulement à la hauteur ? Pouvait-il s’investir dans une relation sans se perdre à son propre piège ? S’ils venaient à sortir ensemble, elle passerait beaucoup plus de temps chez lui… Renoncerait-il à tuer pour elle, si elle venait à découvrir ce qu’il faisait subir à de pauvres innocents ? Elle le fuirait comme la peste… Elle qui croyait que beaucoup de détails les réunissaient, la vérité était toute autre, ils ne se ressemblaient pas le moins du monde.

« C’est à tes risques et périls. Lui répondit-elle dans un premier temps. Si tu veux l’avoir sur le dos jusqu’à la fin de ton existence, alors oui c’est une bonne idée. Elle lui adressa une belle grimace en tirant la langue, digne d’une gamine de cinq ans. Il pouvait bien chercher à l’embêter, elle était plus forte que lui à ce jeu là. Mais dans le cas inverse, le ton de la conversation ne serait plus réservé exclusivement à la plaisanterie. L’exemple de sa venue auprès de Jeremy en était la preuve parfaite. »

Elle le pensait sincère, réellement attaché à elle. Si jusqu’à présent, il avait su faire preuve de patience, son attachement devait être réel. Jamais aucun garçon n’avait pris la peine de la « harceler » autant de temps pour qu’elle finisse par céder. Tyler, lui, tenait bon. Aujourd’hui, il faisait parti de son quotidien, il était parvenu à se glisser dans sa vie telle une petite souris curieuse. Elle finirait bien par craquer… Elle avait devant elle un garçon cultivé, charmant, ayant un niveau de vie plus que raisonnable. Il était attentionné et doux. Alors pourquoi refusait-elle encore de se lancer ? Sans doute par crainte de souffrir une nouvelle fois… De le perdre. Elle ne voulait pas revivre la même chose deux fois. S’attacher engendrait trop de responsabilités et d’engagements.

Venant se coller à la voiture, la jeune Sorcière allongea son bras sur le capo de cette dernière, l’étirant un peu plus dans la direction de Tyler. Elle vint y ajouter son autre bras et enfouit doucement son visage entre le creux de ceux-ci.

« Tout. Dit-elle d’une voix à la fois mystérieuse et joueuse. Ses yeux, d’un marron brut et sauvage, le fixaient avec attention, le visage incliné de côté. Bon d’accord, elle ne serait pas prête à TOUT faire pour conduire sa porche mais quand-même… Essayer, même une fois, lui aurait réellement plu. Toujours sans bouger et sans détacher son regard du sien, elle ajouta : On y va ? Elle ignorait encore leur destination mais elle lui faisait pleinement confiance. Cependant, depuis ce qui s’était passé deux semaines plus tôt, chez lui, elle n’aimait plus trop s’y rendre. Même si une tranquillité n’était pas toujours garantie dans la maison de ses parents, il était le bienvenue. Seul son père demeurait réticent face à cette relation. Mais ce n’était plus à lui de régenter sa vie. »

Etait-il seulement à la hauteur ? Pouvait-il s’investir dans une relation sans se perdre à son propre piège ? S’ils venaient à sortir ensemble, elle passerait beaucoup plus de temps chez lui… Renoncerait-il à tuer pour elle…

Sacrifie-t-on ce que l’on est pour une autre personne ? Chassez le naturel et il revient indubitablement, c’est bien ce que l’on dit. Et Tyler ne ferait sans doute pas exception, il aimait tuer, apercevoir la douleur et la peur sur le visage de sa victime, découvrir les suppliques qui parfois s’extirpaient de leurs lèvres. Comment pourrait-il renoncer à ce qui faisait entièrement parti de lui et de sa personnalité… juste pour elle ? Impossible. Si elle n’était pas capable de l’accepter comme il était, il n’y ferait aucun sacrifice. Qu’elle soit plus souvent chez lui n’avait pas de réelle importance de toute manière, puisqu’il s’arrangerait pour aller parfaire ses petits penchants lorsqu’elle serait en cours ou autre part, après tout, sortir ensemble ne voulait pas dire non plus être tout le temps ensemble.

Mais ils se ressemblaient tout de même, à l’image de la lune et du soleil, un couple saisissant qui n’en était pas un. Par sa faute à elle, et seulement la sienne, pourtant il était prêt à parier qu’elle serait abominablement jalouse si elle venait à le voir avec une autre fille, chose qui ne s’était jusqu’alors jamais produite. Mais n’était-ce pas ce que sa précédente manière de réagir n’en laissait plus aucun doute ? Telle une petite souris, mademoiselle s’était plût à repousser le serpent qui désirait lui dérober celui qui restait à ses côtés. Et encore une fois, sous les paroles qu’elle lui dédiait, elle déviait la conversation vers un autre point, bien plus lointain puisqu’elle ne reconnaissait pas que cela pourrait l’ennuyer. Une menteuse… comme Emilie… comme tant d’autres. Pourquoi fallait-on qu’on lui mente pour chercher à le retenir, alors qu’il ne cherchait que le venin de la vérité, liquide sournois ambré de la perfidie d’un mensonge qui finissait, ainsi, forcément par l’entacher.

« Hum, à vrai dire, peut-être que cela ne me déplairait pas, au pire je l’emmène à la SPA. »

Il lui adressait à présent un petit sourire moqueur, juste histoire de gagner cette petite bataille sous les paroles qu’il venait de lui destiner, à moins bien sûr qu’elle n’ait une meilleure réplique à lui offrir, mais selon lui, cela paraissait plutôt difficile.

Et tandis qu’à présent appuyé sur sa voiture il l’observait attentivement, bien trop pour paraître n’être qu’un simple ami, ou bien celui-ci n’avait pas des attentions aussi innocentes qu’il pouvait le laisser paraître. Silencieux face à ce qu’elle venait de lui dire, laissant le regard du jeune garçon s’assombrir un temps soit peu, comme si brusquement il ne jouait plus. Pourquoi prononcer ce mot si elle savait ne pas pouvoir s’y tenir ensuite ? Pourquoi chercher à réveiller le souvenir de cet autre jour chez lui ? Elle s’était pourtant laissée glisser sous ses mains, recherchant peut-être inconsciemment l’effleurement de ses doigts sur ses courbes, pour ensuite le repousser. Et ce qu’elle n’avait pas sût, c’était bien évidemment ce qui avait suivit ce petit interlude… qu’avait-elle crut ? Qu’il resterait bien sagement chez lui ? Si la porte s’était refermée, s’il y était resté pendant de longues minutes, arpentant le sol à la manière d’un lion en cage, ce fut pour lui laisser le temps de disparaître, pour qu’elle ne le voit pas quitter les lieux, pour qu’elle ne puisse le suivre ensuite. Et si l’on vous confiait que ses doigts s’étaient alors retrouvés imprégnés d’un sirupeux liquide pourpre, dont il avait savouré le goût âcre dans sa bouche, comme un souvenir fugace de sa victime qu’il s’était contenté d’égorger comme un porc.

Puis il avait croisé une autre personne parmi ces rues malsaines, laissant son besoin naturel étreindre le corps de celle-ci, mêlant le goût du sang à celui de ces lèvres charnues. Un simple instant perdu sous les méandres d’une nuit sans lune qui s’était épanchée finalement sur le monde. Enfin, se forçant à sortir de ses mornes pensées, ses iris se déversèrent brièvement sur ses lèvres, avant de revenir sur son regard.

« Oui, mais pour conduire, on attendra que tu ne joues plus je crois. »

Mauvais perdant, mauvais joueur… tous ces qualificatifs lui allaient comme un gant. Il se redressa pour finalement ouvrir la portière se voiture, mettant machinalement sa ceinture, alors qu’elle prenait place à ses côtés. Une, puis deux, puis trois, puis quatre… le temps qu’il lui fallut pour allumer le contact et sortir du parking. Bien moins joueur brusquement, bien plus sérieux également, un plis barrant son front, tout en conduisant en direction de Shaker Square. Concentré sur la route, il se plaisait à ressentir son parfum, laisser la voiture s’emparer de la fragrance de son être pour le mener jusqu’à lui, comme si cela lui permettait de la tenir plus ou moins contre lui à cette seconde. Des pensées déplacées sans aucun doute pour sa petite pluie, mais pourtant, elles étaient là, bien présentes dans sa petite tête où la folie et la colère n’étaient jamais bien loin.

« Qu’est-ce que tu aurais fait ? »

Par amour, certains changeaient leur façon d’être. Fût un temps où Rain en faisait partie. D’une jalousie maladive, elle ne supportait pas de voir des filles tourner autour de ses petits amis. Lorsqu’elle était encore avec Guillaume, pas un chat ne pouvait l’approcher, au risque de déclancher une grosse crise de colère de la part de la demoiselle. Avec du recul et du temps, elle avait su faire un gros travail sur elle-même et n’était que partiellement jalouse. Seule sa possessivité demeurait intacte. C’était, sans doute, aussi l’une des raisons pour laquelle elle comprenait Tyler et lui pardonnait chacune de ses paroles maladroites, chacun de ses gestes brutaux. Même si l’on ne pouvait pas encore parler d’amour ou de sentiments similaires, le jeune homme la collait d’un peu trop près pour ne vouloir qu’une simple amourette d’une semaine. A moins que son désir le plus cher ne soit le fait de la mettre dans son lit… Une fois cela accompli, il la délaisserait comme une moins que rien. Malgré la confiance certaine qu’elle lui accordait, son caractère ambiguë lui faisait se poser énormément de question quant à ses réelles intentions envers elle. Sans cesse à la brusquer… Têtue comme elle était, il ne fallait pas espérer grand-chose d’elle dans ces circonstances. Elle détestait qu’on lui force la main.

Rain, une menteuse ? Non, elle ne l’était pas. Chacune de ses paroles étaient pensées, elle ne cherchait aucunement à le duper, et puis vu son tempérament de feu il n’était pas facile à berner. Il pouvait lui reprocher la tendresse qu’elle se hasardait à lui offrir de temps à autre. Seulement, la douceur était ancrée dans ses gênes. Elle n’était plus une adolescente de dix sept ans, il lui plaisait et les rares contacts physiques qu’ils échangeaient ne lui déplaisaient guère. Mais passer à la vitesse supérieure les conduirait forcément à une relation commune, c’était sans nul doute la prochaine étape. Elle était indéniablement indécise, mais elle persistait à attendre le déclic ultime qui lui donnerait l’autorisation de se lâcher un peu plus.

En effet, elle n’ajouta rien de plus à ses paroles. Il avait eu le coup de grâce. Et puis… Elle ne pouvait qu’être réjouie à l’idée d’emmener Hannah à la SPA. C’était toujours mieux que dans son appartement. Le ton était à la plaisanterie, et elle préférait nettement cela à toutes les disputes presque quotidiennes qu’ils devaient supporter l’un comme l’autre. La prochaine en date promettait d’arriver bien plus tôt que prévu… Malheureusement.

Le regard joueur, la jeune Sorcière continuait de le fixer inlassablement. On pouvait dire qu’elle l’aguichait en quelques sortes, certes… Mais ses intentions n’étaient en rien de l’énerver. Et encore moins de ressasser les mauvais souvenirs. Il était hors de question de reparler de cet incident, qui avait pourtant eu un terrible impact entre eux deux. Comme s’ils étaient désormais destinés à se quereller. La réaction de Tyler fût inattendue. Rain ne s’y attendait pas vraiment à dire vrai. Lorsqu’elle vit ses yeux s’imbiber de cette sombre lueur qu’elle semblait connaître par coeur, elle comprit aussitôt que des reproches l’attendaient au tournant. Une nouvelle fois, ce qu’elle faisait était mal… A quoi bon continuer d’être clémente et gentille avec lui, dites-le moi ? Il démarrait au quart de tour, comme d’habitude, sans raison particulière… Même si sa brève réponse était osée, ce n’était pas comme si elle se jouait de lui en lui promettant l’impossible. Bonne poire dans l’ensemble, elle ignorait parfaitement que dans « tout » il entendait bien évidemment la concrétisation de toutes attirances envers un homme et une femme. C’était bien un mec… Elle mit quelques secondes pour réaliser ce qu’il venait de se produire. Tyler était déjà entré dans la voiture, en insinuant encore une fois qu’elle jouait avec lui. Zen. Il fallait le rester. Jouer la sainte, gentille, compréhensive et tout ce que vous voulez allait deux secondes. Sa patience avait des limites. Le temps arrivera où les bornes seraient dépassées. Et c’était à deux doigts de se réaliser.
Elle vint s’asseoir à ses côtés, ne manquant pas de claquer la portière d’un geste rageur avant de mettre sa ceinture. Désormais, elle ne désirait plus cacher son énervement. Elle saturait, voilà tout. Sans même lui accorder un seul regard lorsqu’il mit en route la voiture, Rain croisa nerveusement les bras et tourna la tête en direction de la fenêtre, les lèvres pincées. Ses yeux observaient distraitement le paysage, prête à craquer et à lui vociférer au visage ses quatre vérités, mais elle se retenait… S’emporter ne ferait qu’aggraver la situation. Il ne manquerait plus qu’à cause d’elle, ils aient un accident.

« Il me semble avoir déjà répondu à cette question, Tyler. Lui répondit-elle d’une voix sèche. Les bras ainsi collés à sa poitrine et les lèvres rebroussées lui donnaient un air grognon. Puis, elle daigna enfin le regarder, mais ses yeux n’exprimaient qu’une seule chose : Son mécontentement. Toute forme de douceur y avait disparue. Pour laisser place à une noirceur profonde. Peut-être aimerais-tu que je cherche pour toi la signification du mot ‘tout’ dans le dictionnaire ? Ajouta t’elle d’une voix presque mesquine, qui ne lui ressemblait pas. Elle décroisa ses bras et posa ses mains sur ses cuisses, les frottant dans des gestes agités. Oh et puis laisses tomber. De toute manière, je n’ai plus envie de la conduire ta foutue bagnole. Comme les choses allaient vite… Tyler devait très certainement être étonné de la voir s’adresser à lui de cette façon. Il la poussait à bout, avait-elle d’autres choix que de riposter à son tour ? Rejetant son visage contre le repose-tête prévu à cet effet, elle souffla brusquement, sentant ses veines bouillonner au fond d’elle. Si elle ne parvenait pas à se calmer très vite, la magnifique voiture du jeune homme en subirait les frais. Elle inclina sa tête de façon à pouvoir le regarder de biais tandis que – doucement mais sûrement – ses yeux s’imbibaient de larmes incontrôlables sous ce stress insupportable qui l’envahissait. Tu m’énerves, tu le sais ça, j’espère ? Murmura t’elle, le regard brillant. Il devait arrêter… Cesser de toujours réagir de façon excessive. Devenir chèvre n’était pas dans ses projets d’avenir. »

La portière avait claqué, la laissant paraître à ses côtés d’une manière bien plus fermée. Comme dans un mauvais film, les acteurs se replaçaient dans la peau de leurs personnages qu’ils connaissaient sur le bout des doigts, les rideaux s’étirant sournoisement sur la scène d’un vaudeville porté à l’écran. Et lorsqu’il entendit ses premières paroles, le ton qu’elle employait pour lui répondre, ses doigts se contractèrent sur le volant, laissant les jointures de ses mains blanchirent sensiblement, avant qu’il ne passe finalement une autre vitesse, son pied appuyant un peu plus sur l’accélérateur. Les arbres ressemblaient de plus en plus à une sorte de haie alors qu’il s’appliquait à ne pas la regarder, tandis qu’elle poursuivait dans son maudit discours.

« Mais ouais bien sûr, tu aurais tout fait hein ? L’ironie perfide de son timbre se laissant percevoir sous ces quelques mots, alors qu’il reprenait d’un ton plus colérique, son pied accélérant un peu plus. Arrête de te foutre de moi tu veux ! On sait tous les deux que c’est faut… mais bien sûr, Rain a toujours raison c’est ça ? Papa et maman le lui ont suffisamment répété. »

Pardon si mademoiselle ressortait encore sa science alors qu’il savait très bien qu’elle ne pouvait pas tout vouloir faire. C’était puéril ce genre de réponse, alors que ce qu’il s’était passé deux semaines auparavant hantait encore leurs âmes à tous les deux, Rain ne pouvant prétendre le contraire puisqu’elle n’était plus vraiment désireuse de se rendre chez lui depuis. La voiture paraissait presque voler à cette seconde sous la vitesse qui la faisait vrombir un peu plus, la porche frôlant encore à peine le sol, comme sous un mauvais rêve, ou peut-être un magnifique qui vous laisserait l’illusion qu’à la manière d’un oiseau vous pourriez bientôt virevolter dans ce ciel. Mais si cela venait à se produire, cela ne serait que si brièvement que les conséquences n’en seraient que plus douloureuses. Malgré tout, le véhicule gardait sa trajectoire avec précision, Tyler veillant à conduire sous des gestes souples, malgré la colère qui le condamnerait bientôt à une réaction plus violente, plus incontrôlable.

Mais s’il se concentrait malgré tout sur la route, le murmure qui lui parvint le laissa tourner brièvement son regard vers elle, une fois… puis une seconde, comme s’il n’arrivait à saisir ce qu’il voyait. Pourquoi pleurait-elle ? Pourquoi… Instinctivement, il relâcha sensiblement l’accélérateur, laissant la voiture reprendre une vitesse moins dangereuse sous ses propres gestes et réactions, rétrogradant d’une simple vitesse. Il restait des plus silencieux, comme s’il ne savait plus quoi dire, alors que sa mâchoire se contractait sensiblement, retenant des paroles peu amènent qui menaçaient de s’esquiver de ses lèvres… « Qu’est-ce que tu as à pleurer ? Ta maman te manque ? Hum. La pauvre petite chose fragile et ridicule, mais c’est qu’elle va me faire pleurer… »… mais ce n’était pas à elle qu’il voulait dire de telles choses, non pas à elle. Ce qu’il aurait donné pour pouvoir tuer à cette seconde, décharger toute la colère qu’il ressentait sur une pauvre personne innocente, était inconcevable pour les gens saint d’esprit qui composaient encore cette ville.

« Arrête de pleurer… souffla-t-il d’une voix sourde où résonnait encore l’ombre de la colère qui ne le quittait pas. »

Ce n’était pas un vraiment un ordre, mais cela restait bien loin d’une simple demande, comme s’il s’avérait incapable de retrouver son calme habituel, celui qui pourtant lui assurerait de ne pas commettre d’erreur à cette seconde. Mais si la patience de la jeune fille était mise à rude épreuve, que dire de la sienne ? Ty n’en pouvait plus d’attendre sur cette douce princesse de la pluie qui se révélait incapable de lui offrir la seule chose qu’il lui demandait véritablement. Rapidement sa main vint se déposer sur celle de la jeune fille, comme pour lui assurer que c’était fini, que la dispute était close, mais pourtant, qui pouvait jurer qu’elle l’était ? Il n’était pas calmé, et c’était de rage que des larmes s’écoulaient de son regard et non pas d’une simple tristesse comme il aurait pourtant pût le supposer.

L’énervement de Tyler ne lui avait pas échappé. Guettant ses moindres faits et gestes depuis qu’elle avait tourné le regard vers lui, la force avec laquelle ses mains tenaient le volant ne lui disait rien qui vaille. Encore une fois, ils étaient plongés dans une dispute où ni l’un ni l’autre n’aura le dernier mot. C’était tout le temps comme cela… Pouvaient-ils seulement cesser de se quereller ? Tout était pourtant si mignon, si beau, lorsqu’ils venaient de se rencontrer. Aujourd’hui les langues se déliaient, et les noms d’oiseaux étaient très certainement sur le point de fuser. Ils s’adoraient, certes, mais à la manière du chat et de la souris. Tôt ou tard, le petit rongeur qu’elle était finirait croquée entre les dents aiguisées de ce prédateur affamé.

« Pourquoi il faut toujours que tu dramatises tout ? Lança t’elle d’une voix énervée, ne pouvant plus contenir sa colère. J’en ai marre de toi Tyler, tu le comprends ça ? Ou ton nombrilisme surdimensionné t’en empêche ? Elle s’était désormais légèrement penchée vers l’avant pour le regarder. Je t’interdis de mêler mes parents à tout ça, tu m’entends ? Plus elle parlait, plus elle semblait crier. Une hystérie, voilà ce qu’elle était… A cet instant précis, elle aurait tout donner pour pouvoir se défouler sur lui. Coller une photo de son visage rieur sur un punching-ball et le massacrer jusqu’au dernier morceau de papier. Ce n’est pas parce que tu es un raté que tu dois passer tes nerfs sur les autres ! Les poings refermés et les dents serrées, elle le fixait avec une rage qu’auparavant elle n’aurait jamais osé lui adresser. »

Y pouvait-elle quelque chose si monsieur souhaitait par-dessus tout dénuder son corps fragile ? Etait-elle responsable de ses pulsions masculines ? Non ! Et même si elle ignorait le fait qu’il puisse aller à droite et à gauche pour satisfaire ses envies, il n’avait aucun droit sur elle… Encore moins celui de lui imposer une telle chose. Il y avait des filles prêtes à le faire, alors pourquoi ne s’en contentait-il pas ? Il était insupportable… Rain avait perdu toute forme de patience. Elle semblait même prise de gestes nerveux, incapable de tenir en place. Ses mains allaient et venaient sur ses cuisses, tandis qu’elle se balançait énergiquement d’avant en arrière.
Sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, le véhicule prit une subite vitesse qui la déstabilisa plus qu’autre chose. Bien trop concentrée à le regarder avec une méchanceté venant des tripes, elle n’avait pas remarqué le paysage qui défilait bien trop vite, devant ses yeux. Tournant un bref instant la tête vers sa fenêtre, elle plaqua sa main sur sa bouche avant de se braquer brusquement vers Tyler, les yeux ouverts à la manière de deux grosses billes.

« Ralentis Tyler ! S’écria t’elle alors, de la peur pouvant se lire dans son regard. Elle n’y était pas allée de main morte avec lui, mais il l’avait bien mérité… Maintenant, à cause d’elle, ils risquaient un accident qui promettait de se produire à tout moment. Je t’ordonne d’arrêter ce véhicule ! Laisses-moi descendre ! Lorsqu’il ses iris sombres croisèrent enfin les siennes, il était déjà trop tard. Les larmes coulaient déjà à flot le long de ses joues pâles. Et après tout cela, il était encore étonné de voir qu’elle pouvait avoir peur de lui ? C’était un grand malade ! A tout moment, il pouvait leur offrir un aller simple pour les cieux. Mais à sa grande surprise, la voiture reprit une vitesse normale, nullement dangereuse pour leurs vies. Dans un fort soupir, elle s’adossa au siège, fixant un point invisible droit devant elle, le regard lointain, choquée parce ce qu’il venait de se passer. A cause de son mauvais caractère, il aurait pu tous deux les tuer… Oui, il était fou, c’était la seule solution rationnelle et logique qui germait dans son esprit. »

Des larmes coulaient, déferlaient, sur ses joues déjà bien assez inondées. Essayant en vain de reprendre son calme, elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration, mélangée entre la peur et la colère. « Arrête de pleurer » lui souffla t-il alors. Comme si ses mots pouvaient l’apaiser… Elle prit ceux-ci d’avantage pour un ordre que d’un simple conseil. N’avait-il pas l’impression d’en avoir assez fait, tout justement ? Non, il devait continuer sur sa lancée… Le bougre d’imbécile. En sentant sa main venir se poser sur la sienne, ses doigts se crispèrent sur son pantalon. S’il n’avait pas été au volant, il était évident que sa main aurait fini sa course sur sa joue, d’une façon tout sauf égalable à celle d’une caresse.

« Lâches-moi. Ne me touches pas… Fussent là les seules paroles qu’elle daigna lui adresser par la suite, tandis que son regard rougi s’ouvrait de nouveau sur cette vue de la route qui semblait encore glisser bien trop vite. Quelque peu tremblante, elle repoussa sa main d’un geste sec. Alors qu’elle ne le quittait pas des yeux, elle tenta au maximum de canaliser ses émotions, et par la même occasion se concentrer sur son don, qu’elle ne maîtrisait pas le moins du monde. Arrêter la voiture ? En colère ou pas, elle en était très certainement incapable… Mais elle voulait essayer, ne supportant plus d’occuper une place qui ne soit pas à moins de cent mètres de Tyler. Ses yeux se perdaient sur son visage, comme si l’espace d’un instant elle était ailleurs, sur une autre planète. Mais le pire arriva. Comme à chaque fois qu’elle cherchait à utiliser la télékinésie. Au lieu de parvenir à arrêter le véhicule, quelque chose de tout à fait différent se produisit… Elle connaissait les risques, et pourtant elle s’était entêtée à le faire. La route qu’ils empruntaient était plus ou moins plongée dans une campagne adjacente à Cleveland. Ils ne leur restaient que quelques mètres avant de quitter ce chemin droit d’une longueur bien étrange. Mais par sa faute, ils n’y parvinrent pas. Un arbre, mesurant au minimum cinq mètres, venait de se déraciner par la seule force d’esprit de Rain, et comme il fallait s’en douter, celui-ci s’échoua au beau milieu de leur chemin, entravant la route sur toute la largeur. Il fallait espérer que Tyler sache suffisamment maîtriser son véhicule pour anticiper la chute, mais tout avait été si rapide… Un simple coup de frein forcé n’y pourrait sans doute pas grand-chose. »

Qu’il… dramatise ? Et puis quoi encore, n’était-ce pas la vérité qui s’esquivait de ses lèvres, ne lui confiait-il pas ce qui aurait dût s’échapper des siennes ? Mais non, bien sûr, mademoiselle avait décidé d’en remettre une couche, ajoutant qui plus est qu’elle ne le supportait plus. Et puis ses parents ? Ils étaient parfaits hein ? Ceux qui n’hésiterait pas à le tuer s’ils savaient ce qu’il était et ce qu’il faisait surtout, un monstre aux yeux de tous, un criminel, un être sans foi ni loi qui ne savait pas quoi faire de son existence, un tueur en série où tout était permit pour l’arrêter, l’empêcher d’agir. Mensonge ! Ils n’étaient pas mieux que lui, il tuait pour sa sécurité en un sens, et eux, ils tuaient pour la leur… où était la différence ? Ils la trouveraient, la justifieraient pour le faire passer pour un envoyer du mal aux yeux de la jeune fille, plus encore après ce jour.

« Un raté ? Moi au moins j’ai les moyens d’assumer une famille, pas comme eux. Crachat-il dédaigneux sous la rage qui en venait à le faire frissonner sournoisement. »

Non il ne trahirait pas encore son secret, il n’en soufflerait le moindre mot, parce qu’il savait que cela l’éloignerait, même si ces paroles venaient sans doute de briser quelque chose dans la confiance qu’il avait cherché à tisser entre eux depuis plus d’une année. Mais il ne se mettrait pas volontairement en danger en lui dévoilant ce qu’il était, pour qu’ensuite ses parents cherchent à le détruire, ce serait comme l’inciter à leur retirer la vie sous ses capacités pour ne pas qu’ils l’atteignent en premier, un peu comme si, finalement, c’était elle qui les aurait mené à une mort certaine. Aurait-elle été seulement prête à endurer cette douleur de tous les jours, ces remords opiniâtres qui ne la quitteraient plus jamais. Sans doute pas, et elle n’y réfléchirait pas plus avant… à moins que ce ne soit elle, qui, désirant protéger ses parents, finissent par lui retirer la vie. Cela en serait des plus risibles en fait, puisque cela signifierait que la seule personne qu’il aurait épargnée serait celle qui causerait sa fin.

Puis elle voulut descendre, mais il fit comme s’il ne l’entendait pas, se montrant sourd à ses suppliques, se refusant à la laisser disparaître sur le bord de cette route. D’autant plus qu’ils étaient au milieu de nulle part, que ferait-elle ? Du stop ? La conversation n’était pas terminée, il avait d’autres choses à lui dire, même si les paroles n’arrivaient à traverser le mur de ses lèvres, comme si la colère qui frémissait au fond de lui l’empêchait de lui confier ce qu’il avait sur le cœur, ce qui pourtant aurait dût avoir le mérite d’être dit. Mais il avait ralenti, ce qui la laissa soupirer à ses côtés, malgré tout, s’il aurait pût être responsable d’un accident, ce fut elle qui s’apprêtait à provoquer le destin, comme s’il n’avait pas encore été suffisamment taquiné. S’arrêter… bientôt, un Dieu capricieux l’exaucerait, mais peut-être pas de la manière qu’elle avait demandée. Ne fallait-il pas toujours se méfier de ce que l’on désirait ? Et le puzzle se complétait peu à peu, sous le regard des muses acariâtres du ciel…

Son ordre… le fait qu’elle le repousse, lui firent quitter la route des yeux… un seconde, une minute, une heure, il n’avait suffit que d’un rien pour qu’il ne perçoive pas l’arbre qui tombait au devant de la voiture, alors qu’il cherchait à lui attraper la main, à la retenir en un mot, ses lèvres se crispant sous la colère qui l’envahissait, sous le fait qu’elle cherche indubitablement à le fuir. Ne part pas, ne part pas, ne part pas…. Cherchait-il maladroitement à lui faire comprendre, malgré le sentiment rageur qui palpitait au fond de lui. Et peut-être est-ce que ce fut l’ombre du feuillage qui interpella son attention, il n’empêche qu’il reporta son regard sur la route, apercevant le danger qui se dessinait devant eux. Trop tard, il était déjà bien trop tard pour empêcher l’inévitable, alors que son pied appuyait sur la pédale de frein et qu’il cherchait à maîtriser le véhicule en faisant demi-tour, braquant pour s’exposer lui. Et si la porche tourna, cela ne l’empêcha pas de percuter le tronc à même le macadam. Tout allait si vite… brusquement, c’était comme s’ils ne touchaient plus le sol, tout tournait autour d’eux. Un mauvais film… ce n’était qu’un cauchemar et il s’éveillerait dans son lit bientôt, n’est-ce pas ?

Instinctivement son pied percuta l’accélérateur comme pour chercher à échapper… à s’esquiver de ce qui était en train de se produire, alors que sa colère s’était dissipée, qu’il ne restait plus que la crainte. Pour la première fois de sa vie, il avait peur pour une autre personne, parce que c’était de sa faute tout ça, parce que… ne pouvait-il s’empêcher de réfléchir ? Juste là, maintenant, tout de suite, arrêter de penser alors que cela ne servait plus à rien. Et ce fut à cette seconde que le véhicule retoucha le sol sous un tourbillon malhabile, roulant encore sur quelques mètres sous un bruit de verres brisés et de tôles froissées à la manière d’une boule de bowling, avant de s’immobiliser sur le toit.

Le silence était-il si pesant habituellement ? Ou peut-être était-ce parce que plus rien ne bougeait à présent, et que pas même un murmure ne se faisait entendre. Inconscients, ils étaient là, à leur place, comme s’ils dormaient, même si du sang s’échappait du front de Tyler, un mince filet de vie qui le laissait pourtant vivant. L’airbag s’était ouvert, trop tôt ? Trop tard surtout, pour leur éviter d’être blessés. Lentement, sous une fumée opaque qui commençait à l’empêcher de respirer, une toux sourde l’éveilla, l’incitant à ouvrir les yeux, alors qu’une grimace marqua ses lèvres lorsqu’il essaya de bouger l’une de ses jambes.

« Rain… faut sortir… laissa-t-il s’échapper de ses lèvres entre deux quintes de toux, ses doigts secouant la jeune fille qu’il entendit gémir faiblement. »

Ses iris se déversaient sur celle qui paraissait s’en sortir mieux que lui visiblement, une simple bosse sur le front, quelques égratignures marquant ses bras, une lèvre sensiblement fendue, des déchirures dans ses vêtements. C’était un peu comme si elle émergeait d’un fastueux sommeil en un sens, mais il fallait quitter la voiture, la fumée devenant de plus en plus oppressante. Sa main réitéra son geste plus fortement pour terminer de l’éveiller, alors qu’il sentait sa tête lui tourner, le menaçant de perdre conscience sous le sang qu'il perdait, un pan de son pantalon déchiré dévoilant une profonde coupure dont il ne savait rien. Mais ce n’était pas le moment de s’en préoccuper, sa portière était bloquée, il ne restait plus qu’à emprunter le passage où se trouvait auparavant le pare-brise, ses doigts voguant pour désenclencher machinalement les coussins protecteurs.

« Allez… faut sortir ! ajouta-t-il en défaisant sa propre ceinture et celle de la jeune fille, se saisissant de son bras pour chercher à la pousser dehors. »

All this feels strange and untrue
And I won't waste a minute without you
My bones ache, my skin feels cold
And I'm getting so tired and so old […]

Ses parents, parfaits ? Où avait-il bien pu pêcher une idée pareille ? Jamais elle n’avait vanté les mérites de ses géniteurs. Et encore moins devant lui. Ils ne représentaient pas vraiment leur sujet favoris, connaissant que trop bien l’affection de son père envers Tyler… Il ne le portait pas dans son cœur et ne cherchait jamais à s’en cacher lorsque leurs routes venaient à se croiser. Combien de fois l’avait-il critiqué sur ses livres, en employant tout un florilège de sous-entendus ? Prise entre deux hommes qui avaient une grande place dans sa vie, Rain ne prenait jamais position, au risque de se faire sermonner par son père d’un côté, et de l’autre recevoir les vociférations du jeune homme, tout sauf agréables à ses oreilles. D’après son père, « ce gamin » comme il l’appelait, cachait quelque chose de louche. Il possédait une demeure bien trop grande pour une seule personne, il vivait seul, et avait entre les mains un compte en banque débordant de zéros à ce qu’il disait. Ses livres avaient-ils autant de succès ? D’où provenait cet argent ? C’était là la focalisation de l’homme. Il le trouvait arrogant et méprisant. Un gosse de riche. Sa fille n’avait rien à faire avec un garçon aussi superficiel… Et qu’elle se rebiffe le décevait en un sens.
Elle-même déçue par les prochaines paroles qui s’échappèrent d’entre ses lèvres, la jeune Sorcière arrêta là la dispute. Ne jugeant pas bon de s’éterniser là-dessus. Cependant, il venait de la juger… En disant du mal de ses parents, c’était à elle aussi qu’il s’attaquait.

Triste. Elle l’était. Son regard brillant le démontrait assez bien. En colère. Elle l’était encore plus. Son réservoir de compassion était vide, les batteries étaient déchargées… Elle n’arrivait plus à le comprendre. Jusqu’à présent, elle était parvenue à lui pardonner toutes ses maladresses, sans aucune exception, mais aujourd’hui… Tout semblait différent. Un gros ras le bol l’avait littéralement fait perdre son sang froid, pourtant inébranlable. Il n’y avait que Tyler pour la mettre dans des états pareils. Un jour euphorique et souriante, le second abasourdie, déçue voire presque anéantie. A croire qu’il la maîtrisait comme une vulgaire marionnette, tirant par moment sur certains fils qui généreraient des émotions trop fortes, en elle. Il avait le contrôle de ses réactions, peut-être même de ses sentiments, et pourquoi pas de son cœur tout simplement. Elle rejetait toute forme d’attachement envers lui, mais qu’en était-il véritablement ? Cela faisait plus d’un an qu’ils se connaissaient et leur relation demeurait au point mort… La faute à qui ? Il avait pourtant tout fait pour la combler, l’attirer dans ses bras afin qu’elle s’y perde, mais rien à faire. Elle ne cessait de le repousser sous des excuses qui n’étaient plus valables. Dans bien des cas, il suffisait d’être brusqué et secoué pour réagir. Une chose était certaine, après l’événement qu’ils allaient tous deux traverser, il était inévitable qu’ils se rapprochent sensiblement. Rain reverrait sévèrement son jugement de Tyler.

Sous les regards indécis et perdus qu’elle lui adressait, elle ne vit pas non plus l’arbre qui menaçait de s’abattre sur la voiture s’il ne ralentissait pas très vite. L’un comme l’autre, ils n’avaient pas été en mesure d’anticiper cet accident inévitable, auquel ils allaient être confrontés dans les plus brefs délais. Ses yeux ni changèrent strictement rien… Il pouvait se retourner autant de fois vers elle, elle n’en était pas le moins du monde attendrie. Endurcie et fâchée, aucune de ses paroles ou attentions n’auraient pu l’apaiser. Il était d’ailleurs inconcevable pour elle de se calmer, elle avait encore beaucoup trop de choses sur le cœur. Maintenant lancée dans ses grands discours, elle n’en avait pas fini avec lui. Mais ses mauvaises pensées à son sujet portèrent leurs fruits.

Dans un fracas sourd, métallique et on ne peut plus violent, la porche percuta de plein fouet l’imposant tronc qui barrait la route, après le brusque coup de frein de Tyler, qui ne servit pas à grand-chose… Si ce n’est l’exposer d’avantage qu’elle au danger. Autant dire que tout s’était extrêmement passé trop vite pour qu’elle n’ait le temps suffisant de remarquer un tel détail, qui démontrait tout sauf une marque d’égoïsme, comme elle avait pu malheureusement le souligner un peu plus tôt. Il n’avait pas fait passer en priorité sa petite personne… Il avait préféré risquer sa vie plutôt que la sienne… Un acte fou et courageux… Mais aussi indéniablement généreux. La suite des événements fût brève, et floue à la fois. Le véhicule, devenu incontrôlable, fit plusieurs tours sur lui-même sur plusieurs mètres, avant que tous ces tonneaux infernaux ne cessent, interrompant ainsi la course de la voiture qui s’immobilisa sur le toit.

Comme laissés à l’abandon, ni Tyler ni Rain ne réagit une fois les roulades effrénées de la porche interrompues. Tout portait à croire qu’ils étaient morts et pourtant… Un semblant de vie se manifesta de la part du jeune homme lorsque celui-ci émit quelques toussotements dus à la fumée presque noire qui s’échappait d’on ne sait où. De son côté, Rain – dont le corps était inerte et sans vie – semblait inconsciente. Une bosse aussi large que ses deux yeux réunis trônait au côté droit de son front, ce dernier ayant percuté violemment la portière lors du choc. Dans l’ensemble, elle s’en sortait plutôt bien… A part quelques écorchures de-ci de-là, elle n’avait rien de grave. Si ce n’est la fente profonde barrant sa lèvre inférieure, si bien que son menton et l’intégralité de ses dents étaient recouverts d’un liquide rouge qui s’écoulait peu à peu sur le toit de la voiture, maintenant placée la tête en bas. Même si son corps annonçait un tout autre message, la jeune Sorcière était bel et bien consciente… Mais indubitablement sonnée. La voix de Tyler résonnait dans son esprit sans qu’elle n’ait la force d’ouvrir les yeux pour le regarder. Lorsque ses mains vinrent la secouer pour la faire réagir, elle poussa un faible gémissement de douleur et cligna très légèrement des paupières avant de poser son regard fatigué sur lui.

« Tyler… Parvint-elle alors à souffler à la vue de son état, qu’elle qualifierait de critique. Tu saignes… Une quantité bouleversante de sang émanait d’une blessure importante au niveau de sa tempe. Et cela suffisait amplement pour la faire paniquer. Le coup qu’elle avait reçu à la tête l’avait rendu partiellement passive, d’où le discours qu’elle tenait… Elle était consciente, certes, mais cela l’empêchait d’agir à sa guise, ses mouvements demeurant bien trop lents, contre sa volonté. »

Quand il détacha leurs ceintures, Rain se laissa agilement glisser sur ce qu’il restait du toit avant de repousser avec frénésie les coussins protecteurs comme prise d’une subite peur incontrôlable de finir ici. Passant la première, elle dégagea brièvement les quelques morceaux de verre entravant leur chemin, s’écorchant stupidement les deux mains par la même occasion. A demie endormie, elle n’y prêta pas réellement attention, comme si elle n’avait rien ressentie et s’extirpa du véhicule avec une vitesse qu’elle n’aurait su expliquer. Une fois à l’extérieur, elle se saisit des mains de Tyler pour l’aider à quitter lui aussi la voiture qui pouvait à tout moment flamber. Tout ceci ne pouvait être vrai… Comment leur dispute – qui n’avait rien d’inhabituelle en un sens – avait-elle pu les conduire à une conclusion aussi fataliste que celle-ci ? L’heure n’était pas à la réflexion.. Malgré une forte volonté, elle ne pu supporter la totalité de son poids lorsqu’elle l’aida à se déplacer, le soutenant du mieux possible après avoir adopté une position étrange avec ses bras pour le maintenir debout. A chaque mouvement, la plaie de sa jambe s’entaillait un peu plus, et sous les grimaces qu’il esquissait Rain ne pouvait s’empêcher de s’excuser à chaque seconde. Tant bien que mal, elle parvint à le conduire dans l’herbe sur le bas côté de la chaussée, en sécurité à plusieurs mètres du lieu de l’accident. Une fois qu’il fût convenablement installé, elle se jeta à ses côtés, de nouveau en pleurs. Tout ceci était de sa faute. Si Tyler gardait des séquelles de ses blessures, jamais elle ne pourrait se le pardonner. Alors qu’elle émettait une forte pression sur sa jambe pour arrêter l’hémorragie, le jeune Sorcier tomba mollement à la renverse vers l’arrière, sombrant dans un profond évanouissement, proche du coma. Bien évidemment, Rain se mit aussitôt à pleurer d’avantage, ne pouvant croire qu’il y avait des chances pour qu’il y reste. Il n’avait pas le droit de l’abandonner, il était hors de question qu’il meurt. C’était lui l’homme. Il se devait de se battre.

Par une chance quelconque, son portable était encore dans sa poche. Avant l’arrivée de Tyler à l’université, elle l’avait glissé dans sa poche au cas où il chercherait à la joindre… Ce fût donc avec un empressement maladroit qu’elle saisit le numéro des secours, les localisant, leur expliquant l’étendue des dégâts et l’état déplorable du jeune homme étendu à ses côtés, d’une voix déchirée, coupée par de légers hoquets nerveux. Les urgences ne mirent pas plus de cinq minutes à se rendre sur les lieux avec une ambulance et tout le matériel nécessaire pour soigner et venir en aide à Tyler, le temps de regagner l’hôpital le plus proche.
Pleine de remords et d’inquiétude, Rain ne laissa personne l’approcher avant que l’état de celui qu’elle avait failli tuer ne s’améliore, lui tenant la main jusqu’à ce qu’on l’éloigne inévitablement de lui pour lui prodiguer les soins obligatoires et nécessaires.
Encore une aventure à ajouter à leur palmarès commun déjà bien comblé… Une aventure inattendue, à laquelle ils ne s’étaient pas préparés à l’avance. Et comment cela aurait-il pu être possible ? Jamais jusqu’à ce jour, elle n’avait ressenti quelque chose d’aussi fort pour un homme, pas même lorsque Guillaume était encore de ce monde… Voilà pourquoi elle ne voulait pas s’engager avec lui. Le perdre lui serait insupportable, l’histoire de son passé ne pouvait pas se reproduire une seconde fois. Mais ce qu’elle ignorait, c’est que Tyler n’avait pas dit son dernier mot. Bien plus coriace que ce qu’elle devait sans doute penser, il s’en sortirait… Non pas indemne de la tête aux pieds, mais ses jours n’étaient plus en danger.