On sombre.... sombrons... dans l'inconnu ? {Pearl}

La nuit s’étirait, sournoise, alors que la jeune fille avait enfin décidé de se rendre dans ce bar dont des démons lui avaient parlé, ayant cherché à l’y attirer. D’ailleurs, elle n’eut finalement aucun mal à y entrer, le videur n’ayant eu qu’à l’effleurer d’un regard volage, lui adressant déjà un léger sourire, lui souhaitant de passer une bonne soirée sans qu’elle ne lui adresse plus d’une simple œillade. Tout ce qu’elle venait faire ici, c’était juste appréhender les lieux, se familiariser avec ce qu’il s’y passait, y observer certains de ses congénères, sans véritablement penser y rester plus d’une heure à moins de vraiment y apprécier l’ambiance. Mais sa première impression fut que cela lui rappelait les bars à la mode de la Nouvelle Orléans, mais les apparences sont si trompeuses n’est-ce pas ? Se faufilant parmi les danseurs qui frissonnaient sur la piste au rythme de la musique, s’approchant du bar qui se trouvait à une extrémité du club, alors qu’une danseuse se déhanchait sur une scène dans une tenue plus que légère sous les yeux pervers de certains hommes, laissant la jeune fille esquisser l’ombre d’un sourire moqueur.

Jamais on ne la verrait monter sur une telle scène pour tout l’or du monde, à moins qu’il ne s’agisse d’un défit, et encore tout dépendait de qui le lui soufflait. Sa longue chevelure retombant sur ses épaules où reposait son blouson, la jeune fille n’avait pas l’air bien dangereuse, ressemblant même à s’y tromper à une pauvre mortelle perdue dans l’enceinte du vice et de sa décadence. Mais que fais-tu là petit oiseau perdu ? Y venir seule, une nouvelle folie qui la laissait prendre des risques, alors que l’un des types qu’elle avait déjà croisée près de la gare désaffectée s’approchait d’elle, les yeux embrumés par un alcool divers, la voix déjà pâteuse et dérangeante.

« Hey, mais c’est la jolie demoiselle, je t’offre quelque chose à boire ?
- Non merci, j’attends quelqu’un.
- S’il est en retard, c’est qu’il ne mérite pas que t’attende seule, lui souffla-t-il son visage bien trop proche du sien, la laissant porter un regard mesquin sur le sien.
- Désolée, mais cela ne m’intéresse pas.
- Allez… juste un verre, promis après je te laisse tranquille… mais ses doigts se déposaient déjà sur son épaule, la laissant le repousser d’un geste sec, avant qu’elle ne se penche vers le barman...
- Il n’y aurait pas un endroit plus tranquille ?
- Derrière, lui indiqua-t-il d’un geste de la tête, avant de s’occuper de quelqu’un d’autre.
- Merci, maugréa-t-elle avant de s’esquiver pour disparaître du champ de vision de celui qui avait décidé de l’ennuyer ce soir. »

Rapide et agile, elle arriva vers l’arrière salle où paraissait se trouver des sortes de petits salons privés, glissant un billet dans la main de l'un de ceux qui en surveillaient l’accès, Ellie s’y avança d’un pas subitement intimidée, alors que l’homme en question lui avait glissé à son passage quelques paroles… « Avant dernière porte à gauche, la retenant néanmoins par le bras légèrement, ça ne te dirais pas de bosser ici ? » Mais elle avait répondu par la négative, désireuse de retrouver un peu de tranquillité, alors qu’elle regrettait déjà d’être venue ici ce soir, mais ressortir aurait signifié qu’il l’aurait sans doute suivie, et elle ne se sentait pas vraiment de taille à affronter un homme la dépassant de deux têtes, même avec le couteau qu’elle avait glissé au niveau de sa taille dans son jeans pour plus de sûreté.

Poussant le battant qu’elle referma délicatement derrière elle, la jeune femme se débarrassa de son manteau, le jetant sur le canapé pourpre qui se trouvait non loin de là, laissant ses doigts naviguer sur sa nuque avec lassitude, tandis qu’elle esquissait quelques pas dans la pièce. Son regard se déversa ensuite sur ce qui l’entourait, la décoration ne lui plaisant que très peu, elle avait elle-même un style bien plus discret, préférant se fondre dans le paysage pour s’attirer le moins de problème possible. La pièce était finalement relativement exiguë et elle n’osait penser à ce qui avait pût y être fait auparavant, alors que la musique de la salle principale parvenait jusqu’ici, laissant entendre un remix de Numb à présent. Le son se fit d’ailleurs un peu plus fort lorsque la porte s’entrouvrit à nouveau… ils laissaient venir des gens dans les salons déjà occupés, juste comme cela, où elle avait manqué un épisode à l’histoire, y avait-il une clause qu’elle ne connaissait pas ? Déjà ses iris se braquaient vers l’endroit désigné par le bruit, laissant ses prunelles dériver sur cette nouvelle personne….

The Red Eye. Un club exclusivement réservé aux créatures de la nuit. Situé entre deux immeubles en ruine, son apparence extérieure ne donnait pas de mine. En revanche, l’intérieur ne ressemblait ni plus ni moins aux autres clubs de Cleveland. Branché, distribuant de l’alcool à flot, comptant parmi les employés des Danseuses et Serveuses bien dans leur peau. A peu de choses près il n’y avait aucune différence, hormis sans doute ce qu’on y servait et les clients majoritaires. Enfin, tous les clients sans exception serait plus exact. Toutes sortes de créatures s’y rendaient. On pouvait y rencontrer aussi bien les plus sages loups-garous que les plus intimidants Démons. Notons simplement que tous étaient à même d’assurer leur propre sécurité. Il serait bien imprudent pour les plus novices et jeunes de ramener leurs petites frimousses fragiles dans un tel lieu. On ne savait jamais ce qui allait se passer. Chaque nuit était unique et imprévisible. C’était l’une des raisons pour laquelle Pearl appréciait de travailler ici, depuis déjà quelques années démoniaques. Elle n’était pas nouvelle dans le club et encore moins intimidée par tous les énergumènes qu’elle pouvait y croiser. Il arrivait même parfois que le gérant lui demande de remplacer certaines serveuses. Alors que son travail la retenait à la simple place de Danseuse en temps normal.

Le temps au Red Eye ne s’arrêtait jamais la nuit. Les choses semblaient manifestement se calmer une fois le Soleil levé. Mais il restait encore de longues heures avant que celui-ci n’éveille l’angoisse de la jeune Vampire. Pour le moment, Pearl se trouvait perchée en hauteur sur le comptoir du bar, effectuant quelques allés et retours devant les innombrables ivrognes postés à ses pieds. Que dirait ses défunts et humains de parents s’ils la voyaient dans une telle tenue si découverte, en train de danser pour des pervers ? Trois siècles auparavant, jamais elle n’aurait pu faire une telle chose, trop bien élevée pour cela, et ne souhaitant pas salir le nom de son père. Petite fille sage et modèle était devenue jeune femme dévergondée et vaniteuse, au plus grand plaisir de ces messieurs.
Durant le court laps de temps où Ellie se trouvait au comptoir, Pearl – de son côté – se déhanchait expressivement devant un Démon au regard envieux. Cependant les deux jeunes femmes n’échangèrent aucun regard. Seule Ellie, peut-être, jeta un bref coup d’œil dans sa direction, mais rien de plus.

Sautant agilement du bar, Pearl alla à la rencontre de l’homme qui la fixait depuis de longues minutes déjà. Elle ne connaissait que trop bien ce genre de client. Avec eux, c’était open bar, alors pourquoi ne pas profiter de leur tendre gentillesse pour boire ?

« Hey ma jolie. C’est quoi ton petit nom ? » Lui lança t’il, le regard brumeux. Celui-là n’en était pas à sa première bouteille.
- Amber. Répondit-elle d’une voix doucereuse. Pearl n’aimait pas trop en révéler sur elle au club, notamment lorsqu’il lui arrivait de consommer un peu trop, elle aussi. Elle ne faisait que mentir partiellement, Amber était son deuxième prénom.
« Je t’offre un petit quelque chose à boire ? » Plus les secondes passaient, moins l’homme semblait frais.
- J’ai bien mieux à te proposer. Suis-moi. Elle lui indiqua de la suivre en direction des salons privés d’un geste de l’index.

Il arrivait aux Danseuses d’offrir des danses privées et exclusives aux clients. A leurs frais bien entendus… Mais Pearl était très certainement la seule à utiliser des moyens très particuliers. Sa nature vampirique en attirait plus d’un et il n’était pas rare de voir quelques créatures désireuses de souffrance physique. Oui, vous ne rêvez pas. Certains payaient pour être mordus par la demoiselle. Oh bien entendu, dans le contrat il était stipulé qu’elle ne devait pas aller trop loin. Mais Pearl n’avait aucun maître.

Arrivant devant une porte fermée, la Vampire s’empressa de l’ouvrir et passa la première avant de laisser passer le Démon. Tous deux ne remarquèrent même pas la présence d'une tiers personne dans la pièce. Aussi, Pearl poussa brutalement l’homme sur une chaise au fond de la salle mal éclairée. Dans la pénombre de l’endroit, il n’était pas facile d’y voir clair, à moins d’avoir des yeux de félins. Jusqu’à ce jour, il ne lui était jamais arrivé de trouver quelqu’un ici. Ses gestes avaient donc l’air d’automatismes machinaux. Après une courte danse autour de lui, elle vint s’installer sur ses genoux et le mordit sensuellement à la nuque, se délectant de son sang dans une envie meurtrière. Entraînée par ses instincts, elle du lui mordre la jugulaire durant un temps bien trop long car bientôt ses mains baladeuses autrefois placées sur sa fine taille tombèrent d’elle-même dans le vide, ainsi que sa tête qui se relâcha et bascula vers l’arrière.

- Oups. Dit-elle pour elle-même. Elle se releva et se tourna vers la porte mais après avoir mis un pied devant l’autre, elle s’arrêta net. Se retrouvant face à une jeune femme qu’elle ne connaissait pas. Elle l’observa longuement, avec tout ceux qui venaient ici, peut-être était-ce une cliente elle aussi ? Elle n’en avait pas vraiment l’apparence… Tu t’es perdue ma mignonnette ? La Vampire pencha sa tête de côté avant de jeter un coup d’œil à l’homme inerte sur la chaise. Ne t’en fais pas pour lui. Il… Pique un somme. Poursuivit-elle sagement comme si elle voulait protéger les oreilles innocentes de cette jeune fille.

Sans qu’elle n’esquisse le moindre geste, la fine demoiselle laissa ses prunelles s’apposer sur l’étrange scène qui se déroula devant ses yeux. Car, contrairement aux films qu’elle avait déjà eu l’occasion de voir, aucun ne l’avait laissée assister au festin d’un vampire, à cette étrange morsure qui paraissait plaire indéniablement à sa victime qui avait tout d’abord ressentit l’esquisse d’une sourde douleur qu’Ellie perçut avec précision. Ainsi, restant immobile, elle se laissa submerger par ces étranges sentiments contradictoires, ressentant cette envie de meurtre qui la laissait avoir sensiblement plus chaud brusquement, laissant comme une force étrange circuler dans ses veines. Ainsi, c’était cela cette envie de sang, ce besoin de ce sang qui s’écoulerait sans précipitation au fond de votre gorge ou sous vos doigts. Son esprit ne se fit pas prier alors qu’elle se reprenait, rejetant ces sensations qui n’étaient finalement pas les siennes, et indiscutablement, sa première idée fut qu’elle venait de se retrouver en présence d’un vampire. N’était-ce pas de cette manière que les livres les représentaient ces veines créatures du Diable dont plus personne ne voulait ?

Et si elle ne ressentait plus ces sentiments, elle ne manqua pas de remarquer la pâleur subite de ses doigts, le fait qu’il devienne peu à peu inerte sans pourtant qu’elle n’intervienne devant ce meurtre qui se déroulait devant ses yeux. Paix à son âme, murmura la sienne sous un sourire timide et vaguement amusé par le oups que laissa s’échapper la prédatrice pour personne d’autre qu’elle-même puisqu’elle ne paraissait pas avoir remarqué sa présence. D’ailleurs celle-ci s’adossa au mur voisin de la porte auprès de laquelle la vampire voulu se rendre, avant de finalement la remarquer. Impossible pour Ellie de se fondre parmi les lieux, impossible également de disparaître, et sans prononcer un traître mot, elle la laissa l’observer, se contentant de faire de même. Mais ses prunelles s’ambrèrent d’un semblant d’amusement devant la question et le surnom, certes, elle ne ressemblait à aucune personne de ces lieux, paraissant sans aucun doute trop délicate, telle une rose que la brume matinale effleurerait de ses doigts de soie, mais tout de même.

« Pas vraiment. Il dort alors ? demanda-t-elle bien trop innocemment. Je ne savais pas qu’un simple baiser pouvait avoir de tels effets… mais vous pourriez peut-être m’apprendre, cela pourrait être amusant. »

Apprendre ? Il fallait toujours faire attention à ses souhaits n’est-ce pas ? Plus encore lorsque l’on se trouvait en présence d’un vampire et que l’on n’était pas vraiment la meilleure candidate pour en devenir une. Démon, démon… c’était une nature, une race qui ne faisait aucune concession aux autres, qui ne demandait pas d’aide non plus si elle se souvenait précisément des paroles de… Drew, oui, ce démon que la vampire ne paraissait pas apprécier tant que cela. Que se passerait-il si par le plus grand des hasards elle apprenait ce qu’une simple ruelle délabrée avait sût démontrer au monde de la nuit ?

Mais la porte s’ouvrit à cette seconde précise, laissant entrer le démon saoul d’un peu plus tôt, le retrouvant pour la troisième fois. Décidément, il cherchait à la persécuter ou il cherchait à s’amuser avec une danseuse ? Malgré tout, son champ de vision et ses sens paraissant de toute évidence parfaitement minuscule, il ne remarqua que Pearl, et encore, il avait dût plisser quelque peu son regard pour parfaitement l’apercevoir, et, s’appuyant au chambranle pour ne pas tomber au sol, il laissa sa voix de poltron s’élever.

« Hey, t’aurais pas vu… trou noir, incapable de se souvenir du prénom qu’il ignorait, il se gratta la tête sous un air qui aurait sans doute dût le faire paraître plus intelligent, mais la chose restait cependant trop difficile et invraisemblable. La jolie d’moiselle ? Elle était là. Pis après, ell’ était pus là. »

Par pitié… mais d’où sortait-il celui-là ? Les « portiers » ne faisaient donc pas leur travail ici ? Déjà que Pearl était venue dans cette pièce pour lui offrir un spectacle pour le moins surprenant, venait ensuite ce visiteur pot de colle. Et déjà la jeune femme laissa son regard se reporter vers le plafond, mordant sa lèvre inférieure pour ne pas éclater de rire. Qu’il parte, qu’il parte… ou alors, qu’elles jouent ? Non… ce n’était pas foncièrement une bonne idée, Ellie n’y connaissait strictement rien, et puis, depuis quand les vampires et les démons étaient amis pour ce genre de jeux ? Les êtres des ténèbres n’aimaient pas, généralement, partager leur petit jeu, appréciant la solitude, tout comme les marcheurs de l’ombre, ces êtres que le soleil bannissait depuis si longtemps de son existence. Mais la jeune femme haussait déjà les épaules pour signifier qu’elle se moquait bien du résultat, l’ombre d’un sourire ironique venant naître sur ses lèvres à l’écoute des nouvelles paroles qu’il laissait s’échapper.

« C’est une sorcière. Pour de vrai hein ! »

Non non, un vampire ne savait pas que les sorcières existaient. La bonne nouvelle tient… Ellie avait l’impression qu’elle ne pourrait pas garder son sérieux bien longtemps face à un tel individu, et commençait à se dire qu’elle aurait dût tenter sa chance dans la rue, une légère tape sur son front et il aurait sans doute terminé la nuit sur le sol poisseux du port. Mais à présent, elle se contentait d'observer Pearl, espérant voir de quelle manière elle allait poursuivre la chose.

Pearl avait l’apparence d’une jeune fille de 18 ans. Et pourtant, elle n’en était pas à son premier meurtre, loin de là. Son âge réel faisait presque d’elle une petite vieille. Trois siècles tout de même. Elle avait tenu 300 longues années s’en se faire débusquer et tuer par les Chasseurs, ni autres démons soi-disant passant. Les Vampires étaient en quelques sortes une sous race, enfin… Ils ne faisaient pas l’unanimité au sein des créatures de la nuit. Ils n’étaient guère appréciés et la plus part du temps étaient rejetés. Mais cela ne semblait pas vraiment les déranger car bon nombre étaient solitaires de nature. Tout comme Pearl, mais c’était différent pour elle. Bien que son cœur ait cessé de battre, bien qu’il soit désormais aussi gelé que son sang, elle gardait son âme d’adolescente et de fille fragile, elle n’était pas aliénée à 100%. Sanglante à 200% mais encore humaine à 10%. Un faible pourcentage, certes, mais qui avait une grande importance car elle avait énormément de failles, comme celui de - parfois - se laisser attendrir, ressentir des émotions que sa nature rejetait. Entre tueuse professionnelle et grande enfant innocente, elle n’était toujours pas parvenue à trouver le juste milieu. Grande capricieuse dans l’âme, bien avant sa morsure, elle avait toujours eu cette manie d’abandonner ses jouets cassés car devenus sans importance ils ne valaient plus rien à ses yeux. Elle voyait ses victimes ainsi, et l’homme actuellement affalé sur la chaise n’avait été rien d’autre qu’un passe-temps, une occupation pour assouvir ses envies de petite fille pourrie gâtée. Il y avait certains traits de caractère qui ne disparaissaient pas en un claquement de doigt.

Bien qu’au début, elle ait eu énormément de mal à s’intégrer au groupe de Vampires et à être crédible aux yeux des Démons, au jour d’aujourd’hui elle était autant à craindre que risible. Trop imprévisible, c’était pile ou face avec elle, on ne savait jamais quelle allait être sa réaction. Et en vue de l’animosité infâme dont elle pouvait faire preuve, même les plus vils et plus costauds qu’elle de cent kilos au moins s’en méfiaient. On la disait folle, et c’était vrai. Poussée par ses instincts, Pearl demeurait une fleur du mal insaisissable, intouchable et hors d’atteinte des mains qui oseraient vouloir la cueillir. Dotée d’épines vénéneuses et mortelles, il fallait la toucher avec des pincettes.
La jeune fille qui lui faisait face ne devait guère être plus âgée qu’elle, du moins de peu si tel était le cas. Mais une chose les séparait : leur véritable âge. Etant donné l’innocence qui émanait d’Ellie, Pearl aurait parié qu’elle ne dépassait pas les cent ans.

- Les bras de Morphée ou de Satan l’ont emporté. Il reviendra à lui, tu n’as aucun souci à te faire là-dessus. Que ce soit ici ou dans les flammes de l’Enfer, il se réveillera. Sa voix avait une touche de moquerie. Allez savoir si ce type était mort ? Il fallait juste se débarrasser de son corps et le mettre dans une benne à ordure derrière le club. Après cela, ce n’était plus son affaire. Oh, tu l’ignorait ? Répondit-elle suite à sa question. Tu sembles donc peu informée mon Ange. Elle marqua une pause et la dévisagea un court instant. Lui apprendre ? Ces simples mots avaient provoqué en elle un frisson imaginaire – bien entendu – qui remonta le long de sa colonne vertébrale. Jamais elle n’avait appris quelque chose à quelqu’un. C’était le travail de Tobias d’enseigner à ses disciples, dont elle. Mais aujourd’hui, il n’était plus là, et les Vampires se faisaient rares, elle en croisait peu. Tu devrais faire attention à la portée et au sens de tes paroles. Ce n’est pas une proposition à prendre à la légère, saches-le. Pearl s’avança quelque peu d’elle et se stoppa de nouveau. Tu ne parviendrais même pas à la dernière épreuve. L’autotest. Pour mieux comprendre et ressentir ce qu’ils éprouvent, il faut inévitablement le recevoir nous aussi. Je ne pense pas que tu sois prête pour une telle aventure. Un mince sourire au coin des lèvres. Sa voix était un mélange d’ironie et de sérieux. Elle ne faisait que la mettre en garde.

A peine eut-elle achevée sa phrase qu’une quatrième personne entra dans le petit salon. Posant ses mains sur sa taille, Pearl le regarda de haut en bas, tous les mêmes. En plus de cela il titubait. Quel magnifique spectacle… Il réussissait presque à la rebuter. Et puis, avant tout, il la dérangeait en pleine discussion. La jeune novice avait des choses à apprendre pour assurer sa propre sécurité. Oh bien sûr, elle n’était pas la plus qualifiée pour ce job, mais quand-même… Peut-être qu’à la fin, elle pourrait en faire ce qu’elle voulait.

- Tu cherches ta Sorcière ? Lui demanda t’elle d’une voix niaise, impatiente. Elle s’approcha de lui et le toisa du regard avant de le tirer par le bras dans sa direction, ce qui lui valut une belle chute. Il fallait dire qu’il ne tenait pas beaucoup sur ses jambes d’ivrogne. Ainsi à ses pieds, Pearl se sentait comme… Puissante. Elle releva les yeux vers la jeune fille et lui demanda d’une voix claire : L’aurais-tu vu ? L’homme s’empressa de porter son attention, non sans difficulté, vers l’interlocutrice de la Vampire. « C’est… » Mais il ne parvint pas à finir sa phrase que déjà le pied de Pearl l’avait frappé de plein fouet au visage, lui tordant soigneusement le cou dans un petit clic étrange. Désolée de ne pas pouvoir t’aider. Renchérit-elle avant d’étouffer un petit rire narquois. Elle sortit de la pièce et fit signe à un homme baraqué de venir les rejoindre. Elle eut juste besoin de lui désigner les deux hommes à sortir qu’il se mit au travail. Démone, n’est-ce pas ? Ajouta t’elle avec naturel à l’attention de la jeune fille.

Ne pas dépasser les cents ans ? Voilà qui l’aurait volontiers fait rire du haut de ses pauvres dix-neuf ans. Mais cela n’avait à vrai dire aucune importance, la conversation qu’elles partageaient toutes les deux se teintant subitement d’un tout autre intérêt, sa capacité à mentir sans le moindre trouble avait donc parfaitement laissé l’illusion de son innocence à propos de ce baiser que même les humains connaissaient en ouvrant un livre d’Anne Rice. Malgré tout, la vision de Pearl sur le futur réveil de son ancienne proie la laissa comprendre que de son côté, que ce soit un éveil parmi les flammes infernales ou bien dans ce monde-ci l’indifférait parfaitement. Mais Ellie pouvait le lui assurer, il ne ressentirait plus jamais rien à travers ce corps glacial, plus aucun sentiment, même lié à ses rêves, ne s’échappait de lui. Le lui confierait-elle ? A vrai dire, pas pour le moment, puisqu’il ne lui fallut que quelques secondes pour reprendre la parole.

Mais plus encore que sa conversation sur son ignorance, ce fut la suite qui attira tout à fait son attention, le fait de devoir faire attention à ce qu’elle dirait, chose dont elle avait parfaitement conscience, ayant jouées sur celles-ci. L’histoire du test la laissa interrogative, mais l’arrivée du poltron brisa cette conversation qu’elle aurait pourtant désiré poursuivre sans la moindre interruption. Cependant, la regarder « jouer » avait son charme qui la laissa sourire quelque peu alors qu’il se retrouvait subitement à terre, ses lèvres s’étirèrent d'ailleurs un peu plus sous sa question, ses iris mesquins venant croiser ceux du pauvre démon qui venait enfin de la remarquer et de la reconnaître.

Et sous un bruit sourd, Ellie venait de reconnaître cette froideur sentimentale qui s’emparait de ce corps à présent sans vie et la moquerie apparente de Pearl. Puis il y eut le garde qui vint se débarrasser des deux clients comme s’il en avait l’habitude. C’était donc cela, ce qui se passait à l’arrière ne le préoccupait en rien, malgré tout, alors que la jeune femme reportait des prunelles mielleuses sur cet être agaçant, elle entendit la question de la marcheuse de l’ombre qui la détourna du portier.

« Vous êtes plus maligne que lui… en effet. Et vous un vampire si je ne me trompe, non ? lui glissa-t-elle d’une voix qui conservait cette innocence et cette douceur caressante qui s’accordait parfaitement à son être. »

Devait-elle avoir peur de se retrouver à présent seule avec cette femme ? Car déjà la porte se refermait pour leur permettre de poursuivre leur si intéressante conversation, le visage de la plus jeune des deux se redressant finalement dans son sens. Si elle ne la craignait pas encore… l’idiotie ne s’était pas non plus emparée d’elle, la laissant dans l’ombre de cette méfiance charmante qui paraissait palpiter calmement dans sa poitrine et qui la poussait à simplement faire attention sur ce qu'elle lui confiait.

« L’autotest… Que voulez-vous dire par ressentir ce qu’ils peuvent éprouver ? Pouvoir déterminer ce qu’ils ressentent pour adapter sa technique de chasse ? déclara-t-elle en comprenant peut-être pour la première fois l’intérêt de son don. Enfin, tout du moins si cela avait une réelle vérité. Mais qu’est-ce qui détermine que l’on est prêt ou non pour une telle aventure ? »

Lentement, elle s’était détachée du mur, son regard ne quittant à aucun instant la présence de l’autre demoiselle alors qu’elle venait finalement s’asseoir à côté de son manteau sur le canapé. Et insidieusement, l’éclat qui paraissait à présent scintiller au fond de ses prunelles semblait la mettre au défit de lui répondre, de lui apprendre ce qu’elle pouvait bien savoir à ce sujet. Après tout, ne l’avait-elle pas mise en garde quelques minutes plus tôt ? Pourquoi donc ne pas aller au bout de son enseignement… Avoue-le donc Pearl que cela peut-être grisant d’être subitement celle qui sait, qui détient les réponses. Et peut importe le reste… Peu importe la manière dont cela devra être fait. Mais en faire ce qu’elle voulait… cela restait encore à voir, car restons sérieux, Ellie prenait elle-même ses décisions.

« Vous ? susurra-t-elle du bout des lèvres sans que la moindre moquerie ne se fasse néanmoins percevoir. »

Pourquoi s’encombrer de sentiments inutiles ? Il fallait appeler un cadavre, un cadavre. Que pouvait-il bien lui apporter de plus à son existence éternelle déjà si parfaite ? Mort, il l’était. Son âme il avait perdu, et pour toujours. Ellie semblait se poser une quantité trop importante de question, excessive en comparaison à la normale pour un Démon de son acabit. D’ailleurs, qu’il s’agisse d’un Vampire, d’un Lycanthrope, d’un Incube ou encore une autre espèce de Démon, jamais Ô grand jamais il ne fallait regretter ses actes. Une fois créatures de la nuit, on ne pouvait plus faire chemin inverse. Si Pearl ne tuait pas, c’était elle qui finirait six pieds sous terre comme un tas d’os et de poussières. Vivre ou mourir, il fallait choisir. Et le choix était tout fait. Elle avait besoin de sang, non pas par tonne de litres, mais le corps d’une personne pouvait la contenter, chaque jour. Certains ne parvenaient pas à la comprendre et pourtant il n’y avait pas plus clair. Elle n’allait tout de même pas se consoler avec des animaux ? Seuls les Vampires des bas fonds se nourrissaient de ceux-ci. Ceux qui à défaut de n’avoir aucun amour propre pour leur race, ne voyaient aucune objection quant au choix du dîner. Un lapin, et puis quoi encore ? S’ils n’acceptaient pas leur nature, ce sont eux qui finiront à l’abattoir.

L’homme chargé de la « protection » - si on pouvait parler de protection - des danseuses avait l’habitude. D’avantage avec Pearl. Elle n’était pas connue pour être docile et obéir aux clients au doigt et à l’œil. Elle rajoutait toujours une petite touche personnelle à ses danses et autres contacts. Mais dans un monde tel que le leur, plus rien n’était étonnant. Le club n’aurait rien d’attrayant si l’ambiance qui y régnait était la même que celle chez les humains. Les clients qui venaient ici n’étaient pas forcément des Démons respectés, soignés et élégants, c’était plutôt une autre catégorie. Ils avaient sans doute tous quelque chose à se reprocher, et la loi qui disait « chacun pour sa peau » était indéniablement d’actualité. Les disparitions soudaines et mystérieuses passaient inaperçues. Le garde ne posait jamais aucune question.

- Perspicace. Répondit Pearl à sa question. Une Vampire. Plutôt facile à découvrir, non ? De longues dents, un regard cruel et sanguinaire lors d’une forte poussée de colère, des iris rouges, du sang généralement plein le menton, à moins d’être aveugle – et encore – c’était à la portée de tout le monde.

Observant avec curiosité la jeune femme, Pearl commença à faire quelques pas dans la pièce sombre, désormais vide et silencieuse. L’homme avait été déplacé, elles pouvaient donc discuter en toute tranquillité sans que des oreilles curieuses provenues de l’au-delà ne les espionnent.

- Ce que je veux dire ? Lança t’elle d’une voix légère. Tu sembles si fraîche et innocente… Je suis prête à parier que tu n’as jamais tué personne. Elle leva les yeux vers elle et esquissa un sourire mauvais avant de venir prendre place à ses côtés. Pour comprendre la portée de tes actes, leur importance, tu te dois de t’infliger à toi-même ce que tu fais subir aux autres. Tu vois où je veux en venir ? Bien entendu, cela peut effectivement t’aider à améliorer tes techniques, mais ce n’est pas tout. La vue du sang t’effraie t’elle ? Il faut du temps pour ressentir une quelconque jouissance de nos actes meurtriers. Elle marqua une pause et s’appuya contre le dossier du canapé. Es-tu faite pour ça ? Comment le savoir avant d’avoir commis un meurtre ? Tu n’as pas choisie ce que tu es, et si tu n’es pas capable de mener à bien ce pour quoi tu es faite, je te conseille donc de partir, de t’exiler, de fuir les tiens. A moins que le suicide soit plus approprié. Au fur et à mesure qu’elle parlait, son regard ne croisait pas celui de cette jeune inconnue. Cependant, elle daigna enfin la regarder dans les yeux. Ce n’est nullement à moi de te dire si tu es prête ou non. Il n’y a pas meilleur juge que toi. Personne ne pourra éprouver ce que tu ressens mieux que toi. Analyses tes propres émotions et tu le découvriras par toi-même.

La Vampire apposa le derrière de sa tête contre le haut du dossier du sofa et prit une profonde inspiration avant de souffler doucement. Elle se redressa et se tourna vers la Démone pour mieux la regarder. D’un geste instinctif, elle lui glissa une longue mèche de cheveux derrière l’oreille avant de lui dire, d’un air sérieux : Mon premier conseil serait de commencer par perdre ce regard candide. Pour ma part, il m’est très utile mais toi… Tu es un Démon. Ce n’est pas comparable. Elle haussa les épaules et soupira légèrement. C’est quoi ton nom, au fait ?

Perspicace… comment pouvait-on ne pas deviner à la vue de la fascination malsaine qui l’avait étreinte sous la vision de Pearl étanchant sa soif qu’elle n’avait elle-même jamais porté la main sur un humain, ou une quelconque autre créature ? Enfin, ses prunelles vinrent effleurer ses doigts immaculés où rien n'y avait encore laissé son empreinte, avant qu’elle ne reporte un regard attentif sur la ténébreuse jeune femme, presque frondeur en un sens, comme si elle cherchait à démentir ce qu’elle pouvait bien lui dire au sujet de son innocence. Et elle la vit s’approcher, venir prendre place juste à côté d’elle, sans pourtant que la jeune femme n’esquisse le moindre signe de rejet, malgré l’intense crainte qui la parcourait. La vampire était bien loin d’être un ange, et Ellie paraissait convaincue qu’elle n’hésiterait sans doute pas à lever la main sur elle si cela pouvait lui apporter la moindre satisfaction. Est-ce que dans ce cas, son pouvoir de lévitation pourrait lui être utile ? Sans doute… tout autant que la dague qu’elle gardait si précieusement à sa ceinture.

Mais elle continuait son explication, la laissant la regarder comme si elle était folle l'espace d'une brève seconde. Pitié, c’était déjà assez ennuyant d’avoir à ressentir les sentiments des autres par instant, sans en plus devoir souffrir véritablement. Et il fallait bien avouer qu’elle n’était pas vraiment d’accord pour se faire volontairement du mal, c’était sans doute une option pire que l’idée d’effleurer un humain miteux et détestable. Peut-être était-ce d'ailleurs le meilleur moyen de commencer, et s’il fallait qu’elle comprenne, elle ouvrirait grand son don. Le seul problème serait sans doute que cela rendrait la chose plus difficile, car comme le soulignait si justement la marcheuse de l’ombre, il faudrait du temps pour apprécier la mort de quelqu’un, s'en réjouir, en ressentir même du plaisir. Plus encore lorsqu’en regardant le regard de sa future victime on pouvait ressentir ses peurs les plus profondes, cette supplique, cette tristesse qui l’envahirait sans doute également… mais s’il s’agissait de haine ou de colère, là cela pourrait s’avérer utile, sinon… Non, elle n’userait pas de son don pour la première fois pour ressentir l’intensité d’une souffrance, qu’elle soit physique ou morale, car elle avait parfaitement conscience que cela pourrait retenir sa main.

Cependant la suite de ses paroles la laissèrent arquer ses lèvres sous un léger sourire ironique, tandis qu’elle ne cessait de la fixer alors que le regard de celle dont l’âme avait déjà disparue depuis si longtemps aux yeux des chrétiens se perdait aux alentours, avant de finalement venir s’y ancrer. Malgré tout, comment peut-on être prêt à tuer ? Cette question s’insinuait, tourmentait son âme à mesure que les secondes s’écoulaient, avant qu’elle n’ait un légère réaction de méfiance face au geste pourtant si doux que la créature des limbes asséchées eut à son encontre. Comme une mère, ou comme une grande sœur qui essayait d’expliquer quelque chose à sa cadette, remettant une mèche de ses cheveux en place.

« Mon regard m’est très utile, jusqu’ici il m’a permis de rester humaine aux yeux de ceux qui pourtant pourraient en douter. Avouez-le… dans une rue, un humain ne pourrait imaginer que je ne sois pas sa semblable. Secouant imperceptiblement sa chevelure, ce qu’elle avait dit un peu plus tôt tournait encore dans son esprit, n’arrivant à chasser ses paroles. Ellie et vous ? »

Il fallait... qu'elle sache, qu'elle parle. Ainsi, ce fut sous une légère ironie qu'elle reprit la parole, sensible sous ce qu'elle décrivait. Mais il fallait faire attention, jouer tout en douceur pour ne pas braquer celle qui se tenait devant elle et qui, mine de rien, pourrait lui apprendre des choses.

« Vous croyez vraiment qu’il faille ressentir ce que l’on fait subir à sa victime ? Mais c’est… vous croyez que les tueurs en série s’amusent à se lacérer, à se mettre un sac en plastique sur la tête avant de le faire subir à ses victimes ? C’est comme ce Jack l’éventreur, s’amusait-il à s’ouvrir l’abdomen pour en sortir des organes ? Il est inutile de la ressentir pour comprendre, la douleur, la haine ou encore la peur, elle transpire sous la peau de la personne, termina-t-elle sous un murmure. La jeune fille mentait à cette seconde, elle avait d’autres atouts qu’elle préférait garder pour elle, et bien sûr son cœur ne troubla pas un instant son rythme. Et je n’ai pas peur du sang… de plus pourquoi fuir ce que l’on est, c'est stupide, tout s’apprend, y compris le meurtre non ? A moins que vous… enfin, que les personnes devenant vampire en commettent depuis petites, elles apprennent à tuer pour survivre, je ne me trompe pas ? questionna-t-elle d'un timbre étrange... qui semblait demander... appeler cette apprentissage d'une manière involontaire. »

Mais ce n’était pas la même chose pour elle, en quoi avait-elle besoin de retirer la vie à un être ? Mais les démons faisaient le mal, c’était dans leur nature, et elle restait persuadée d’y arriver le moment venu, que si elle s’enfonçait dans les méandres de son âme, elle trouverait la force et ce sentiment d’avoir réussit à faire quelque chose qui lui offrirait cette liberté qu’elle recherchait et que le monde mortel ne serait jamais en mesure de lui offrir. Ce qu’elle avait entrevu auprès de Drew cette autre nuit… cet autre soir, qui la fit sourire sensiblement sous un souffle plus infime, lui redonnant ce courage qu’il l’incita à glisser son bras sur le dossier, sans pour autant oser la toucher, mais permettant néanmoins à sa capacité empathique de le faire.

« J’y arriverai. Mais comment étiez-vous avant votre transformation ? »