L\'interdit est tentant [ Pearl ]

Quoi de mieux que BlackAshes Streets pour se ressourcer ? Rien, bien évidemment. Un quartier totalement dévasté, vide, poussiéreux, miteux et regorgeant de personnes extrêmement curieuses et intrigantes. Voilà ce dont avait besoin Pearl pour passer une soirée dans les règles de l’art. A n’importe quel moment de la nuit, il était fort probable de croiser quelqu’un, il y avait toujours une personne errante. Du moins, dans le cas de la Vampire, elle avait toujours eu la chance jusqu’ici de tomber sur des individus. Certes les humains se faisaient plus que rares dans cette partie de Cleveland. En revanche, c’était le passage obligatoire d’une multitude de créatures en tout genre. Comment ne pas passer une nuit seule ? Se rendre ici, bien sûr. La jeune femme avait besoin de s’amuser, de voir autre chose que des humains crédules au point de lui mâcher tout le travail. Certains allaient même jusqu’à tendre leur cou pour lui faciliter la tâche. Hallucinant, n’est-ce pas ? Même si tout ceci ne restait qu’une métaphore, il y avait des cas. Arrivé à un moment, ne pas sentir le danger environnant devenait inquiétant pour la personne en question. Il fallait excuser les humains. N’étaient-ils pas une sous race ?

Alors que ses pas la guidaient on ne sait où, une odeur particulière lui traversa les narines. Un Lycan ! Elle n’avait pas mis plus de deux secondes à analyser cet arôme unique. Après des dizaine de grandes enjambées qui la rapprochaient chaque fois un peu plus de la créature, l’effluve se fit de plus en plus nette et précise. Bientôt, elle mit un nom et un visage sur celle-ci. Gabriel. Grande fût sa surprise de croiser sa route lorsqu’elle ne s’y doutait pas le moins du monde. Cachée derrière un mur à l’encolure de deux rues, elle l’observait. Lui. Ce maudit loup-garou qui avait osé lui résister. Personne aux alentours, elle allait donc pouvoir s’amuser avec lui. Un lycanthrope fâché oui, mais pas deux. Il n’était sans doute pas du genre à se déplacer en meute. Ce qui l’arrangeait parfaitement en vue des circonstances.

Suivant attentivement le parcours du jeune homme, Pearl se faisait discrète. Elle rasait les murs, sa silhouette se déplaçant silencieusement au sol telle une ombre. A plusieurs reprises, Gabriel marqua une pause. Cela ne l’étonnait pas. Avec son flair de vieux cabot mal léché, il était en mesure de sentir sa présence. Mais même après avoir franchi les mètres qui les séparaient, rien ne changea… Il ne prit même pas la peine de se retourner pour la regarder. Etait-il si imbu de lui-même pour fixer ainsi son reflet, ce qui l’obligeait à l’ignorer ? Durant quelques secondes, elle prit plaisir à l’observer dans la haute vitrine. Son reflet à elle s’était évanoui au moment même où elle était devenue Vampire. D’une main froide mais d’un geste délicat, elle glissa ses doigts fins sur la nuque du jeune homme.

- Laisses-moi te dire que ta nuque est unique… Je suis prête à parier qu’au clair de Lune, sa splendeur n’en est que plus éblouissante. Dit-elle d’une voix mielleuse.

Tandis qu’elle ôtait sa main, ses crocs prenaient doucement de l’ampleur. Son odeur, sa peau… Tout en lui semblait la mettre dans un état secondaire. Mais les souvenirs de cette querelle sanguinaire lui restait en mémoire. Ce chien galeux n’avait pas hésité à s’attaquer à elle. Il s’était octroyé le droit de s’attaquer à elle, au risque d’altérer sa beauté.

- Je suis ravie de te revoir Gabriel. Lança t’elle d’une voix plus ferme. Ses yeux vairons n’avaient pas encore pris une teinte parfaitement rouge. Le bleu et le vert des deux yeux étaient encore visible. Elle devait avant tout se calmer, et ne pas précipiter les choses.

Oui, il était un loup-garou. Et un très beau même. Excepté les soirs de pleine Lune. Disons uniquement que s’il fallait choisir, elle préférait de loin les hommes aux bêtes. Seulement, cette bébête là, elle se la réservait personnellement. Proie coriace, certes, mais il ne la fuirait pas éternellement. N’était-elle pas désirable à ses yeux ? Etait-elle contrainte une fois de plus d’utiliser les grands moyens ? Utiliser la force encore et toujours… Il n’était pas très docile comme chien. Elle n’était pas sortie de l’auberge si toute son éducation était à refaire.Gabriel demeurait insaisissable, et c’était là sa principale qualité. Plus la chose est intouchable, plus l’envie de l’obtenir grandit. Et c’était ce que ressentait Pearl à son égard. Elle ne voulait pas d’un vulgaire humain, elle le voulait lui, à elle et rien qu’à elle. Etait-ce trop difficile à comprendre ?

Puis il se retourna avec rapidité et se saisit de son poignet avec une grande agilité. Bien sûr, Pearl n’opposa aucune résistance, elle se contentait de se perdre dans les iris dorées du jeune Lycan. La couleur de ses yeux prouvait-elle son manque de patience et contrôle de soi-même ? Commençait-il à s’énerver ? Il en avait fallu de peu. Mais bien vite, elle eut sa réponse car ses ongles s’enfoncèrent dans sa fine peau de porcelaine. La réaction ne se fit pas attendre, par défense ses crocs jaillirent en moins de deux, mélangé à des plaintes étouffées par un petit cri à l’égard de Gabriel, un son proche du feulement félin. Etait-il si peu civilisé ? Ah oui, bien entendu, ce n’était qu’un simple chien, un parasite, une pauvre vermine animale.
Il la repoussa. Pearl resta là où elle était, observant les marques rouges sur sa peau. Il l’avait abîmée… Comment avait-il pu ? Elle releva doucement la tête vers lui et le menaça d’un simple regard perçant. Il n’allait pas s’en tirer comme cela. Toujours vouloir se venger, ne pas en rester là, l’impulsivité de cette Vampire finirait un jour au l’autre par lui jouer des tours. Reprenant doucement son calme, comme apaisée par le ton de sa voix, elle esquissa un large sourire malicieux.

- Tu pourrais effectivement faire cela… Lui dit-elle avant d’entreprendre de marcher autour de lui, lui tournant autour. Sa main posée au niveau de son ventre faisait le tour de son corps au rythme de ses pas, sa longue robe de velours glissant sur le sol telle une traîne.

Mais elle finit par venir se replacer devant lui. Ajustant au passage sa cape noire sur ses épaules. Vêtue d’une magnifique robe rouge, le haut caché par un bustier de la même couleur que sa cape, Pearl ne voulait pas qu’en plus de cela il en vienne à souiller ses vêtements. Elle découvrit son bras marqué et y planta ses propres ongles pour ouvrir une entaille. Quelques gouttes de sang, un regard joueur échangé à Gabriel. La jeune femme passa brièvement son doigt maculé de rouge sur la nuque du Lycan.

- Le ferais-tu pour moi ? Sa voix avait quelque chose d’enfantin, de suppliant, comme si elle avait pris ses propos au sérieux. Son doigt finit par dessiner le contours de ses lèvres avec son propre sang. Pearl perdait peu à peu pied, elle ressentait l’irrésistible envie de se jeter sur lui. Même si elle n’était pas novice à la matière, elle faisait bien trop confiance à ses instincts, Gabriel n’était pas aussi irréfléchi qu’elle…

Mais que ressentait réellement Gabriel à l’égard de Pearl ? Quelle était la première chose à laquelle il pensait en la voyant ? Garce ? Qu’avait-elle fait pour que dès leur première rencontre, il n’y ait aucune alchimie entre eux ? La raison s’arrêtait-elle au simple fait qu’il ne supportait pas les Vampires ni mêmes les autres créatures ou était-ce tout ce qu’elle représentait à elle seule qui le rebutait ? Car jusqu’à présent, elle n’avait pas eu de réponse claire face à son rejet. Certes cherchait-elle à le tenter, mais pourquoi restait-il indifférent ? L’était-il vraiment ou jouait-il un jeu ? Pour se protéger éventuellement. Contrairement à ce qu’il pensait, il n’y avait pas que son flux sanguin qui l’intéressait. Il était plutôt beau garçon, et depuis la disparition de Tobias, sa vie était bien vide. Il n’y avait plus que les humains qui acceptaient de jouer avec elle. Les autres créatures ne se frottaient pas à elle en règle générale.

- Vérifier ? Lui demanda t’elle, sceptique.

Devait-elle comprendre par là qu’il lui donnait son feu vert pour se nourrir ne serait-ce que de deux gouttelettes de son sang ? Bon, peut-être une centaine… Soit. La quantité importait peu en réalité. En effet, Pearl était naïve, et on ne pouvait que très bien le constater dans la situation actuelle. Elle était prête à croire qu’il l’autoriserait à le vider de son sang, pas trop… Pas peu non plus. Juste assez pour étancher sa soif.

Lorsqu’il découvrit sa nuque blanche comme la neige, la Vampire inclina progressivement la tête sur le côté, contemplant sa peau, les yeux plein d’espoir, de rêve et d’envie. Elle n’avait pas tué ce soir là, du moins pas encore. Une dose stricte et précise de sang par jour était nécessaire, autrement son animosité et sa folie pouvaient tripler d’intensité. Dans le fond, elle n’était pas vraiment méchante. Juste un peu sanguinaire et gourmande sur les bords, à par cela elle n’était pas connu pour son côté sadique contrairement à certains démons.

- Non. Dit-elle d’un ton ferme et catégorique.
Elle l’observa de haut en bas avant d’ajouter :

- Je savais que cette nuit n’allait pas être comme les autres, je le pressentais. Par conséquent, il est hors de question que je me contente d’un humain sans importance.

Puis Gabriel entreprit de jouer avec elle. Après tout, il était entré dans le jeu depuis quelques minutes. Pearl quant à elle, continuait d’imaginer qu’elle ne le repoussait pas tant que cela étant donné qu’il était encore face à elle pour lui parler et qu’à part son geste mal élevé il n’avait pas été très agressif. Comme si l’instant était unique, merveilleux et solennel, elle garda le silence juste le temps de le voir se mordiller les lèvres au point de faire naître une goutte de sang. Le sang… Sa lubie. Il en fallait peu pour la captiver.
D’un geste lent, elle se rapprocha doucement, jusqu’à venir presque se coller à lui. Elle fit glisser son pouce sur les lèvres du lycanthrope, comme dans l’espoir de réceptionner d’autres gouttes.

- A défaut de ne pas pouvoir m’offrir un repas luxurieux, tu pourrais peut-être me donner autre chose de toi… Elle lui lança un regard taquin, jouant de ses deux couleurs de yeux différentes pour le charmer. Un baiser, pour commencer ? Il n’allait tout de même pas la laisser repartir bredouille.

Ses canines profondément implantées dans sa peau, Pearl ne semblait guère décidée à lâcher prise. Avec une vivacité rare et une envie pressante, elle se délectait de son sang pour lui en ôter un maximum avant qu’il ne parvienne à la faire céder. Dans cet empressement soudain, le liquide rougeâtre avait un goût exquis, probablement était-ce le meilleur qu’elle n’ait jamais eu la chance de boire. C’était la première fois qu’elle se permettait de le mordre, car jusqu’à présent leurs conflits s’arrêtaient à une violence physique extrême. Avec des coups de « griffes » en prime de la part de Gabriel. Même s’ils semblaient parfois jouer au chat et à la souris, leur agressivité était bien réelle… Leur mésentente était déjà allée jusqu’à un point critique dans les deux camps. La scène risquait très fortement de se reproduire.

La main du Lycanthrope parvint jusqu’à sa longue chevelure brune. Il s’en saisit avant de tirer dessus avec une violence rare, qu’elle ne connaissait pas non plus, mais elle n’était pas sans savoir qu’une créature de son espèce avait probablement d’avantage de force qu’elle… Ses crocs sortirent de sa nuque dans un cri de douleur qu’elle émit, venant troubler et percer le silence ce cette nuit. Rapidement, elle finit sa course au sol, sur le dos. Autant dire que le choc fût brutal. Mais elle s’empressa de remettre debout, n’appréciant aucunement le fait de se retrouver en position de faiblesse. Oh que oui, elle voulait le tuer, ce pauvre chien galeux ! Mais avant cela, elle voulait le faire sien… Seul objectif non attend jusqu’à présent. Elle ne pouvait pas rester sur un échec. Et ses projets ne se passaient pas aussi bien que prévu. En vue des circonstances, il était peu probable qu’il se laisse faire désormais.

Elle n’émit aucune résistance et se laissa pousser vers l’arrière, gagnant quelques secondes pour ne serait-ce que récupérer des forces. Ses yeux rouges au reflet inhumain et sauvage le fixaient avec une telle intensité que ses intentions ne présageaient rien de bon. Non sans une grimace, elle passa sa main sur sa lèvre profondément ouverte. Elle était encore d’attaque et ses forces n’étaient pas amoindries, du moins presque pas. Il lui en restait assez pour continuer le combat, si c’était ce qu’il souhaitait. Et le geste désinvolte qu’il fit en écartant ses bras ne lui prouva pas le contraire. Provocation… Elle devait aussi réfléchir à l’issue de tout ceci. Malgré sa grande assurance, elle ne voulait pas y rester pour autant. Que faire ?

- Tu aurais du te laisser faire Gabriel… Siffla t’elle d’une voix perçante comme s’il était la raison de tout ce chaos.

Les dents extrêmement blanches de Gabriel l’intriguaient et l’effrayaient à la fois. Devait-elle véritablement le craindre lorsqu’il n’était pas en pleine transformation ? Elle ne savait plus que penser. Elle courrait peut-être à sa perte et pourtant… L’appel du sang semblait être plus fort. La nuque ensanglantée du Lycan lui suppliait de venir reprendre son activité mais une voix au fond d’elle l’implorait de battre en retraite. Que devait-elle choisir ? Sa fierté était sans doute plus forte que l’importance de sa propre vie. Elle ne souhaitait pas être risible à ses yeux, qu’il ne la craigne plus… Elle ne le supporterait pas. Tous ses espoirs resteront vains à jamais si tel était le cas.
Sans plus réfléchir, elle s’avança doucement et s’arrêta à quelques centimètres de lui, cherchant dans son regard une réponse à toutes ses questions, mais elle ne pu rien y trouver.

- Tout ce sang gâché… Murmura t’elle pour elle-même tandis qu’elle observait tantôt sa nuque, tantôt son visage. Sa main se leva d’elle-même et vint se poser sur la peau fraîchement abîmée de Gabriel et appuya dessus d’un geste ferme sans le quitter du regard. Et bien vas-y… Mords-moi. Défoules-toi. Venges-toi. C’est bien ce que tu veux, n’est-ce pas ? Qu’attends-tu ? De son côté, elle ne bougeait pas, elle voulait voir jusqu’où il irait pour se débarrasser d’elle. Quels que soient ses plans, elle semblait bien imprudente d’opter pour une telle tactique avec lui. Sous le poids de l’angoisse et sans doute d’une trop forte poussée de stress, de fines larmes perlèrent sur ses joues pâles. Piège pour l’attendrir et ainsi être épargnée ? Ou bien, moment d’impuissance où ses sens humains resurgissaient ?

Il ne valait mieux pas que Gabriel s’attarde trop sur son cas, la comprendre était bien trop difficile. C’était une perte de temps inutile car personne n’en était capable. Pas même elle-même. Pour qui se prenait-elle ? Pour elle, tout simplement. La meilleure à ses yeux, probablement. Mais aussi la plus vulnérable. Ce qu’elle était à l’instant présent. Il avait su prendre l’avantage sur elle et il lui était désormais impossible d’inverser la tendance. Elle ne semblait d’ailleurs plus disposée à luter. Elle avait comme un blocage… Quelque chose au fond d’elle qui freinait ses envies sanguinaires et meurtrières au point de la rendre quelque peu plus « gentille ». L’espace d’un instant, un flash-back, une suite d’images avaient traversé son esprit, le visage de Tobias lui revenait en mémoire. Celui qui, trois siècles plus tôt, l’avait mordu et initiée à la vie de Vampire. La seule personne pour qui elle n’avait jamais eu de vrais sentiments n’était plus là. Et sa solitude en prenait un sacré coup. Cette situation lui faisait prendre conscience qu’elle n’avait personne sur qui compter, même elle n’était pas fiable à 100%. Un grand moment de faiblesse. Oui, il arrivait à Pearl de se montrer sous un autre visage mais il fallait dire qu’à cet instant, ce n’était ni le lieu ni le moment approprié. Elle était triste, qui aurait cru que cela soit possible ? La présence de Gabriel, sa force, sa persévérance lui rappelait bien des qualité qu’elle avait connu chez quelqu’un…

Et comme il fallait s’en douter, elle récolta ce qu’elle avait un peu plus tôt semé. L’impatience de Gabriel frappa. Il posa ses mains sur elle et planta sans aucune hésitation ses dents dans sa peau fraîche. Fébrilement et la main tremblante, elle vint s’agripper à la nuque du Lycanthrope, le laissant mordre à coups de crocs féroces sa peau sans même réagir. Au fur et à mesure de ses morsures, la main de Pearl resserrait son étreinte autour du cou de Gabriel, gémissant de douleur. Que lui arrivait-il donc ? Sa force n’était-elle donc qu’une carapace derrière laquelle se cacher ? Pas vraiment… Sa démence n’était pas sur jouée, elle était belle et bien réelle. Cette fille était aliénée et folle. Et pourtant, devant lui, maintenant, elle paraissait être une simple humaine.

- Non… Chuchota t’elle d’une voix cassée lorsqu’il émit la proposition de recommencer.

Au moment même où il se détacha d’elle, la Vampire fût dans l’incapacité la plus totale de se tenir sur ses jambes. Elle se laissa brusquement tomber au sol telle une poupée de chiffon. Le corps secoué par de légers spasmes soudains, son visage restait figé vers le bas. D’un geste lent, elle tendit son fin bras vers lui, mais sa main finit par terre, comme s’il était hors d’atteinte. « Fous l’camp. » Il ne pouvait pas faire plus clair. Mais pour l’heure, la douleur déchirante qu’elle ressentait au niveau de son épaule la paralysait.

- Tu ne vaux guère mieux que moi Gabriel… Sa voix était toujours aussi faible, éteinte. Elle voulait lui faire comprendre qu’il était comme elle. Son animosité pouvait le mener loin. Qu’il n’hésiterait pas à s’attaquer à une personne qui s’offrait bras ouverts. Malgré lui, ils avaient beaucoup de points communs.

Les yeux brillants et de nouveau vairons, Pearl releva doucement la tête vers lui, ses canines aiguisées déjà rentrées. Ainsi, par terre, elle semblait être le fruit d’une pulsion sanglante d’une créature de la nuit. Son visage exprimait une innocence peu connue. Elle n’aurait su exprimer par des mots ou des gestes ce qu’elle ressentait à cet instant. Aussi étrange et bizarre puisse t’elle paraître, il était évident que jamais Gabriel ne comprendrait le pourquoi du comment de ses agissements. En elle venait de germer un nouveau sentiment, pour lui. Comme une révélation, ou plutôt une claque prise en pleine figure, elle réalisait qu’elle ressentait quelque chose pour lui. Il était pratiquement impossible de le remarquer étant donné tout ce qu’elle faisait, qui prouvait totalement le contraire. Mais ses yeux l’imploraient avec une détresse inconnue.

- Ne me laisses pas… Susurra t’elle. S’il te plaît. Sa main vint douloureusement se placer sur son immonde plaie.

Comme tous les sévices physiques, le cas de Pearl allait s’arranger d’ici quelques jours. Mais la convalescence menaçait d’être longue… Ce qui l’obligerait à rester enfermée entre quatre murs frais, dans la pénombre. Mais ceux du cœur n’avaient pas de remède. Les souffrances qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même restaient intactes, et ce pour toujours. Son amour pour Tobias, défunt Vampire, demeurait dans un petit coin de son cœur noir. Cette soirée avait pris une tournure qu’elle n’avait jamais envisagée jusqu’à ce jour. Oui, elle avait fini par lui céder et lui laisser la victoire, issant le drapeau blanc la première. Elle n’était immortelle qu’au sens littéral du terme, la vérité était tout autre. Bien que trop sanguinaire, elle n’en restait pas moins vulnérable pour autant.

Il vint s’accroupir devant elle. Elle devait véritablement attiser sa pitié pour qu’il s’approche ainsi d’elle après ce qu’elle lui avait fait, entre menaces et attaques. Comment faisait-il pour être si « gentil » ? Elle ne le comprenait pas… Comment parvenait-il aussi facilement à dissocier sa nature de loup-garou et sa vie humaine ? Les deux étaient étroitement liés et Pearl s’y était déjà perdue. Elle était une seule et même personne, son côté démoniaque avait pris le dessus. Ce qui n’était pas étonnant en vue de son éducation vampirique qu’elle reçut de son professeur. Lorsque Gabriel entreprit de toucher sa blessure, la jeune femme étouffa une nouvelle plainte. S’en suivit un coup de langue sur la plaie, ce qui valut une autre lamentation sonore. Est-ce que ce geste était propre à son côté animal ? Les chiens avaient pour habitude de lécher les blessures diverses. On disait que leurs langues étaient capable de prodiguer des soins, du moins suffisamment pour que les dégâts soient en voie de guérison. Ce qui voulait donc dire qu’il voulait « l’aider » ? Non, ce ne devait pas être ça.

Pearl. Il avait prononcé son prénom. Chose qu’il ne faisait pratiquement jamais. L’appeler Beckett lui permettait sans doute de garder la distance qu’il y avait entre eux. Pearl était plus intime. Ses yeux fatigués le fixaient avec intérêt jusqu’à ce qu’il s’empare de ses lèvres dans un baiser largement plus doux que le premier. Mais ses lèvres avaient extrêmement du mal à suivre le rythme depuis que ses ongles s’étaient enfoncés dans sa blessure. La bouche mi-ouverte, elle ne trouvait plus la force de se plaindre, comme muette. La douleur était si vive et ardente que ses forces s’amenuisaient à vue d’œil, ses yeux se fermaient fébrilement par moment.

A ses paroles, elle hocha doucement la tête avant de venir se faufiler tendrement dans ses bras, se serrant fortement contre son torse. Elle s’appuya contre lui du côté non amoché, son bras encerclant avec difficulté le cou du Lycanthrope.

- Serres-moi fort. Souffla t’elle douloureusement. Et ne me lâches plus… Jamais. Le mot jamais avait été dit dans un ton de voix presque inaudible, inconsciemment. Son seul souhait était de ne pas se retrouver seule. D’avantage dans cet état. Fermant progressivement les yeux, Pearl frotta son visage contre son torse tel un félin en recherche de câlins et d’étreintes. Désormais, elle était inoffensive, il aurait très bien pu faire ce qu’il voulait d’elle. Emmènes-moi avec toi… Légèrement endormie ou quelque peu plongée dans une sorte de furtif coma ? Une chose était sûre, elle n’était pas dans son état normal. L’idée qu’il l’abandonne au petit matin la paniquait, qu’allait-elle devenir seule sous terre ? A cette pensée, elle augmenta l’étreinte de son bras autour de son cou, telle une sangsue, elle ne voulait pas se séparer de lui. Tout était confus dans son esprit. Sa plaie lui faisait un mal de chien, si bien que la douleur lui jouait quelques tours. L’impression que le Soleil s’était déjà levé grandissait en elle, son frêle bras ne faisait que le serrer d’avantage.

Qui l’aurait cru, hein ? Pearl n’était pas uniquement cette créature assoiffée de sang, sans cesse en recherche de victime à ajouter à son tableau de chasse. En ce moment, les temps étaient plutôt durs. Ne sachant plus trop où elle en était, ses agissements paraissaient encore plus bizarres qu’à la normale, et ce n’était pas peu dire. Même si beaucoup pensaient la même chose d’elle, qu’elle était plus Vampire qu’humaine, et qu’ils avaient parfaitement raison, elle n’en restait pas moins une personne fragile, avec comme tout le monde ses faiblesses. Et il y en avait un paquet.

Telle une poupée de chiffon, ses membres se relâchèrent lorsque Gabriel la prit dans ses bras. Ses jambes balançaient, allaient et venaient au rythme de ses pas, sa tête penchée vers l’arrière donnait l’impression qu’elle était morte. Inerte, elle le laissa la déplacer sur plusieurs mètres avant de pénétrer dans les décombres d’une boutique en ruine. L’endroit n’avait rien d’attrayant mais c’était une bonne idée qu’il venait d’avoir. Leur sang commun pouvait très bien attiser l’appétit de certains en plus de cela. Une fois posée sur le comptoir, son bras le plus proche du bord de celui-ci tomba mollement de lui-même dans le vide. Comme sans vie, son corps demeurait immobile et flasque. Seuls ses yeux qu’elle venait d’ouvrir de nouveau démontraient un quelconque signe de vie et observaient la scène avec attention. Il se trouva une chaise et vint se placer à ses côtés avant de lui prendre la main. La situation était plus ou moins comique, il fallait bien l’avouer. Elle l’avait attaqué avant qu’il ne le fasse à son tour et à l’heure actuelle il lui tenait la main, la soutenant comme s’il s’agissait de ses dernières minutes, de ses derniers souffles.

Pendant de longues secondes, ni l’un ni l’autre ne trouva nécessaire le fait de parler. Les yeux vairons de Pearl se perdaient dans ses iris jaunâtres dans un regard qui se voulait doux mais qui semblait douloureux en réalité. La douce fleur de la nuit s’était éteinte. Elle avait perdu toutes ses épines et défenses immunitaires. Son teint devenu encore plus blafard qu’à l’accoutumé lui donnait l’aspect d’un cadavre ambulant, une morte vivante. Sous ses yeux trônaient d’immenses cernes qui prouvaient sa fatigue physique certaine. Dire qu’elle n’était pas en forme n’était pas un euphémisme. L’espace d’un court instant, ses paupières se fermèrent d’elles-mêmes comme devenues trop lourdes. Mais son pouce se mit doucement en mouvement, caressant alors le dos de la main masculine qui la tenait. Regrettait-elle tout ce qui s’était passé ? S’en voulait-elle de s’être ainsi jetée dans son dos pour le mordre ? Rien n’était moins sûr… Ce qui avait été fait était passé, ils ne pouvaient pas revenir en arrière. Pearl devait protéger son image de Vampire forte, qui se croit invincible, sans quoi elle courait tout droit à sa perte.

- Tes yeux étaient de quelle couleur avant ta morsure ? Dit-elle subitement alors que la prunelle de ses yeux était de nouveau visible. Elle venait de briser le silence pour poser une question pour le moins bien étrange en vue des circonstances, mais elle voulait savoir… La tête posée contre le comptoir, elle lui adressa l’once d’un petit sourire sincère. Etait-ce trop tard pour enfin faire « connaissance » ? Je les imagine bleus, moi… La jeune femme se redressa douloureusement pour se mettre en position assise, mais gardant fermement la main de Gabriel dans la sienne. Avec une douceur infinie, elle y déposa un chaste baiser avant de la faire glisser sur sa propre joue.

En quête d’attention et de tendresse, Pearl continuait d’exécuter de lentes caresses sur sa propre joue à l’aide de la main de Gabriel. Elle se sentait extrêmement faible et ne ressentait plus aucune envie de luter face à lui. Il avait réellement gagné depuis de longues minutes déjà, peut-être qu’après ce moment d’impuissance, sa fierté en prendrait un sacré coup mais pour l’heure elle n’y réfléchissait pas vraiment. L’envie de se battre et de boire son sang lui était passée. Elle n’était plus la même, c’était indéniable, un énorme changement était visible et de toute évidence le Lycanthrope ne l’avait que trop remarqué, d’où sa méfiance certaine. Lorsqu’il dégagea soudainement sa main de son étreinte, elle le regarda, surprise. Est-ce que sa question avait un sens caché, ce qui la rendait mal placée ? « Peu importe. » La réponse était plutôt… Ferme et stricte. Pourquoi ce subite changement de comportement ? Assise sur le bord de la table, elle le fixait, attendant qu’il daigne se retourner vers elle pour lui parler les yeux dans les yeux.

- Ce qui te met en rage ? Répéta t’elle automatiquement à sa suite. Pour une fois qu’elle était parfaitement docile et nullement agressive, il trouvait le moyen de lui faire des reproches.

Puis il s’avança de nouveau vers elle avant d’encercler sa nuque de sa main. Voulait-il donner le dernier coup qui l’achèverait ? Sans contre attaquer ni se défendre, elle le laissa la plaquer contre la table tout en continuant de serrer son cou. De son côté, elle ne le lâchait pas du regard, l’écoutant attentivement et le regardant avec intérêt. Et voilà, il remettait cela sur le tapis. Croyait-il franchement que dans son état, son premier souhait serait de lui sauter à la gorge ? Désolée de le décevoir, mais ce n’était pas dans ses intentions. Ne percevait-il pas cette petite flamme changeante au fond de son regard ? L’envie de sang n’était pas présente en elle. C’était comme si pour le moment, elle n’était plus une Vampire, juste… Une femme, une humaine. Une femme enfant, qui cherchait seulement à être prise dans les bras, à être réconfortée, une gamine en détresse, voilà ce qu’elle était dans le fond.

- Tu crois sincèrement que j’ai en tête l’idée de te mordre, encore une fois ? Dans mon état ? Je ne suis pas folle au point de vouloir quitter cette Terre aujourd’hui. Lui dit-elle doucement dans un murmure, son souffle s’échouant sur ses lèvres. Maintenant qu’il ne lui tenait plus le cou, elle se sentait moins agressée. Et tu vas me croire parce que tu sais très bien que j’apprécie ma vie telle qu’elle est. Sa main remonta jusqu’au visage de Gabriel, ses fins doigts caressèrent sa peau avec délicatesse. Je n’ai plus envie de jouer avec toi Harper… Renchérit-elle, toujours d’une voix calme, posée et silencieuse.

Ses yeux vairons expressifs plongés dans ses iris à la couleur particulière, la Vampire s’empara vivement de ses lèvres dans un frénétique baiser. Ses bras encerclèrent son cou tandis que ses jambes faisaient de même en venant s’enrouler autour de son bassin, l’attirant à elle et sur elle. Malgré la douleur ressentie au niveau de son épaule, ses lèvres glissaient furieusement et passionnément sur les siennes. Ses lèvres avaient toujours ce petit goût exquis particulier, comme si la saveur du sang y était encrée, ce qui l’attirait follement. On pouvait dire qu’elle venait de se jeter sur lui pour jouer à la sangsue, c’est vrai. Mais cette fois-ci, la sangsue n’avait pas les mêmes objectifs ni envies, et les procédés étaient très différents.

Une imbécile, voilà ce qu’elle était. Ses espoirs et désirs la menaient de désillusions en désillusions. Jamais elle n’aurait quoi que ce soit de la part de Gabriel, il ne fallait pas se leurrer. A part quelques coups de griffes et de dents. Elle endossait à la perfection le rôle de punching-ball, de souffre douleur sur qui évacuer sa colère. Bien entendu, elle avait une tête à claque et un comportement qui l’était tout autant, mais ses sarcasmes avaient cessé depuis bien longtemps déjà, mais le Lycanthrope semblait réellement lui en vouloir pour s’acharner ainsi sur elle. De toute évidence, elle devait être la personne qu’il aimait le moins sur cette Terre, ou du moins était-elle dans le top 10. Elle faisait peine à voir, elle, la Vampire aux réactions tant redoutées par certains. Elle serait bien risible aux yeux des Démons qu’elle tentait d’impressionner. Croyant à tort que s’ouvrir à lui pouvait arranger les choses, au final elle ne recevait que ses foudres et remarques désobligeantes. Bien joué Pearl, tu es la reine des connes ce soir.

« Tu es pathétique, Beckett. » Cette phrase résonna à plusieurs reprises dans sa tête. Elle eut l’effet assommant d’un coup de marteau pris en plein sur la tête. Peut-être même que l’effet escompté était plus fort que ce qu’il aurait du être. La suite de ses paroles ne fit que la réconforter dans son désespoir. Au fond d’elle, une lame pointue et invisible s’enfonçait progressivement dans sa poitrine à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. Il paraissait sincère, cela en devenait presque troublant… Il pensait ses mots, cela se voyait. Ce fût avec les yeux imbibés de larmes incontrôlables qu’elle se redressa et s’empressa de se remettre debout, sautant maladroitement au sol. Une main posée sur son épaule, elle le dévisagea avec un profond dégoût. Qu’il ne croit pas être mieux qu’elle, il ne valait guère mieux, ce qu’elle avait dit un peu plus tôt était vrai. Sa méchanceté à lui semblait sortir des tripes.

- Un peu de sincérité dans cette bouche ensanglantée. Appuyée sur le comptoir sur un bras, Pearl le fixait avec répugnance. Vas en paix, je t’offre ta tranquillité. Dit-elle en mimant une révérence grotesque. Ce ne sera certainement pas moi que tu trouveras derrière toi désormais. Mon seul souhait serait que tu trouves pire encore. Chose facile me diras-tu. Après tout, je n’étais qu’une banale chauve-souris collante pour toi. Quoi de plus effrayant. Certains ne te feront pas de cadeau, pensa t’elle à voix basse. A ce moment précis, tout ce qu’elle espérait à son sujet, c’était du mal. Il venait de perdre tout charme à ses yeux, l’espace de quelques secondes. Toute la magie qui l’entourait s’était dissipée comme si jusqu’à présent une lumière continue l’éclairait et qu’elle venait subitement de s’éteindre. Passant devant sa chaise sans lui accorder un seul regard, elle murmura : Tu me dégoûtes, nous sommes donc quittes. Sans relâcher la pression émise sur sa blessure, la Vampire accéléra son allure d’un pas peu assuré jusqu’à se retrouver devant la porte bancale du magasin, celle-ci ne demeura pas bien longtemps un obstacle car bientôt son pied la frappa d’un coup rageur. Elle s’ouvrit d’une volée, lui cédant ainsi le passage. Une fois à l’extérieur, elle se déplaça sur quelques centimètres mais abandonna sa course effrénée et se posa au sol contre une vitrine. Cette montée de colère et ces efforts physiques avaient fait renaître la douleur de sa plaie. Ramenant ses fines jambes blanches vers elle, sous son menton, elle accota doucement son visage contre ses genoux, tournant bien évidemment la tête du côté opposé à celui de la porte de la boutique. Il avait ce qu’il cherchait. Il était seul. Sans Vampire à ses trousses. Mais il n’avait pas tenu sa parole, le jour ne s’était pas encore levé. Le matin arriverait très certainement dans une heure. Autant dire que Pearl devait être très perturbée pour rester ainsi sans aucune appréhension. Parfois, se sentir humaine la rassurait.

Certes lui avait-il promis de rester jusqu’au petit matin, mais il devait rester en sa compagnie. Une soirée entière à ses côtés avait une toute autre signification pour la jeune Vampire. Dans son imagination, Gabriel était différent, il ne ressemblait aucunement à ce qu’elle avait bien pu voir aujourd’hui. Peut-être que la Lune presque pleine jouait sur son comportement, c’était certain même, elle ne le savait pas si haineux… Il devait ressentir un profond dégoût à son égard pour ainsi se comporter. Que Pearl agisse mal, passe encore, mais lui… Il semblait être maître de lui et posséder un certain calme qu’elle n’aurait sans doute jamais. Dans tous les cas, il avait tout gagné en se comportant de la sorte avec la jeune femme. Elle se sentait perdue et ne savait plus où elle en était. Ses paroles et gestes l’avaient quelque peu perturbée et chamboulée. C’était une véritable remise en question qu’elle faisait sur elle-même.

Recroquevillée sur elle-même, elle ressassait inlassablement le déroulement de cette misérable soirée. Une rencontre surprenante et plaisante, quelques paroles échangées histoire de se provoquer mutuellement puis le lancement des hostilités… Tout était allé crescendo sans même qu’elle ne s’en rende compte. Avec du recul, elle regrettait plus ou moins une partie de ses actes. Pas tous, juste quelques uns. Jamais elle n’aurait du le mordre, ce n’était pas ce qu’elle voulait… Mais la créature sommeillant en elle prenait largement le dessus sur ses agissements. Au final, le pouvoir de régénération que chaque Vampire possédait ne lui était pas d’une grande utilité, Gabriel l’ayant bien trop amochée, il lui faudrait plusieurs jours pour se remettre.

En effet, son murmure parvint à son ouïe très fine. En premier lieu, elle ne comprit pas où il voulait en venir en disant cela. L’importance de quoi ? Elle se tourna doucement vers la vitrine tellement poussiéreuse qu’elle ne parvenait pas à voir l’intérieur de la boutique. Se référait-il au fait d’être resté en sa compagnie depuis tout ce temps, pour rien du tout, pour ainsi dire ? Elle qui lui avait demandé, ou plutôt supplié, de rester avec elle. Maintenant qu’ils s’étaient entre-tués et que son cœur était écorché vif, tout ceci n’avait plus aucune importance. C’était plausible… Et même s’il ne s’agissait pas de cela, il y avait tout un tas d’hypothèses quant au sens de sa phrase. La fatigue était trop importante pour y réfléchir. Non sans difficulté, elle se remit debout tout en s’appuyant sur la baie vitrée, la douleur aiguë de son épaule ne faisait que la lancer. Il fallait qu’elle rentre chez elle, qu’elle se repose, ou mieux… qu’une personne s’occupe de nettoyer sa plaie pour une guérison plus rapide. Mais Pearl n’avait confiance en personne et demander de l’aide n’était pas dans ses habitudes.

- Pourquoi ne m’as-tu pas tué quand tu en as eu l’occasion ? Souffla t’elle d’une voix cassée. Après s’être relevée, la Vampire était arrivée tant bien que mal sur le seuil de la porte, qu’elle avait au préavis poussé. Pourquoi n’avait-il pas fini le travail alors qu’elle s’était donnée à bras ouverts à lui ? Peut-être n’appréciait-il pas qu’on le lui mâche ? La main posée sur son épaule n’avait pas lâchée sa pression depuis de longues minutes, du sang était tout de même visible, s’écoulant entre ses fins doigts blancs. Elle s’avança vers lui d’un pas hésitant, traînant presque des pieds pour arriver à sa hauteur, déplacer son corps était devenu un lourd fardeau. Une fois à ses côtés, son regard se perdit sur sa nuque où deux points rouges semblaient être ancrés. Son état de faiblesse ne faisait qu’accroître son avidité de sang, pour reprendre des forces… Secouant machinalement la tête de droite à gauche, elle posa ses yeux vairons sur le visage de son interlocuteur. Alors quoi ? Cela se finissait ainsi ? Ils allaient chacun repartir de leur côté ? Et ne plus se croiser, par chance ? Où était passé le charmant jeune homme qu’elle avait tenté en vain de séduire… Il n’était en fait qu’une bête enragée, encore plus mauvais qu’elle.

Le regard vide et fatigué tourné vers lui, Pearl avait perdu l’intégralité de ses forces, comme si elle n’était plus qu’une enveloppe corporelle, morte à l’extérieur, et meurtrie à l’intérieur. En somme, seule son âme semblait survivre dans son être. La douleur était si intense et insupportable qu’elle se croyait shootée à la cocaïne. D’ailleurs, elle ne sentait plus le côté gauche de son corps, ou du moins de son épaule jusqu’au bout de ses doigts. Sa main refermée sur sa blessure s’acharnait en vain à retenir le sang qui y émanait. Peu à peu, elle se vidait de tout son sang, perdant ainsi toute sa résistance. Il lui fallait impérativement du sang, mais ce ne serait certainement pas ici qu’elle le trouverait et Gabriel n’était pas prêt de l’aider. Bien trop affaiblie, elle regagnerait son domicile bredouille et exténuée. Douloureusement, elle attendait une réponse qui ne viendrait jamais. Pourquoi ne voulait-il pas lui répondre ? Si elle le répugnait autant, pourquoi n’avait-il pas été au bout des choses ? A l’heure actuelle, des idées morbides lui traversaient l’esprit, elle n’était plus en mesure de supporter cette souffrance physique, une seconde mort l’aurait probablement aidée… Mais elle n’eut rien de tout cela. Le Lycanthrope lança une phrase qui retint son attention. Sans savoir pourquoi, elle prenait ses paroles pour elle.

- Tu es l’homme et moi la bête, c’est ça ? Tu te crois plus humain que moi ? Dit-elle avec une colère non dissimulée. Certes l’était-il un peu plus, car de son côté elle était morte. Mais ce n’était pas elle qui se transformait en loup à la pleine Lune… Il était plus créature qu’elle.

Puis il lui conseilla de partir, au risque de finir calcinée et en cendres. Elle ne dit mot et se contenta de l’observer attentivement, ayant cru apercevoir une once de douceur dans son regard, mais sans doute avait-elle rêvé, comme toujours. Elle voyait ce qu’elle désirait, mais le détail illogique dans le cas présent c’était qu’elle ne souhaitait plus rien de lui pour le moment. Perdue et mourante, elle le craignait, oui elle avait peur de lui. Curieux, n’est-ce pas ? Mais il ne payait rien pour attendre. Cleveland n’était pas une ville si grande que cela, leurs chemins se recroiseraient forcément.

La Vampire le regarda s’éloigner sans effectuer le moindre geste. Il devait s’en aller, c’était la meilleure chose à faire… Vue l’ampleur de sa haine pour lui, elle ne donnait pas cher de sa peau à son réveil d’ici quelques jours. Il fallait mettre de l’eau dans son vin et laisser le temps passer pour que sa colère se dissipe elle aussi.
Après avoir jeté un bref coup d’œil à sa montre, Pearl ouvrit de grands yeux ébahis. Elle n’avait plus beaucoup de temps pour rentrer chez elle, et passer une journée entière dans un coin sombre de cette boutique miteuse n’était pas à son goût. Tant bien que mal, avec une mine affreuse, elle sortit du magasin avec un air de blessée de guerre. Un petit regard lancé en direction de Gabriel qui marchait au loin. Puis elle reprit sa route à l’opposé du jeune homme, accélérant le pas un maximum. Si elle devait en finir avec sa vie immortelle, elle préférait que ce soit en se vidant de son sang après une bagarre avec un Lycanthrope plutôt que de brûler ridiculement au Soleil.