Paternel disparu

Ôrans Library. Toute nouvelle bibliothèque flambant neuve, bâtiment imposant construit récemment et qui venait d’ouvrir ses portes aux habitants de Cleveland.
Qui ne tente rien n’à rien , c’est pourquoi Karen décidé de s’y rendre ce matin là, tôt avant le début des cours. Peut être y trouverait elle des ouvrages concernant son … « état ». Ou bien des articles concernant d’autres cas similaires au sien…
Dans ses rêves les plus fous, elle espérait même y trouver un remède. Quel souhait naïf ! La prochaine pleine lune arrivait à grands pas, et Karen sentait une boule d’angoisse se loger dans sa gorge chaque jour un peu plus.

La bibliothèque venait d’ouvrir lorsqu’elle se gara juste devant avec sa Mini Cooper. Les mains dans les poches de son gilet informe, ses long cheveux bouclés indisciplinés tenus en un catogan sur sa nuque, elle pénétra dans le bâtiment, tête baissée.
Après un bref bonjour à la bibliothécaire qui gardait l’entrée, la jeune femme chercha rapidement du regard les rayons qui l’intéressait le plus. En vain.
Avec un soupir résigné, elle s’approcha de l’employée afin de savoir où se situait les ouvrages attenant au paranormal.
Celle ci lui désigna le fond de la salle d’un geste vague de la main, sans même lever le regard vers Karen.

« - Euh… très bien… merci » bredouilla t elle, commençant à s’éclipser.

« - Attendez…. Si vous voulez, nous avons également des ouvrages en non répertoriés au premier sous sol »

Autant de mots dans une même phrase, wouah, la bibliothécaire venait de faire un effort surhumain.
Karen lorgna brièvement sur les escaliers menant au sous sol.

« - Oh…. Parfait, merci beaucoup »

La jeune femme avait déjà épluché bon nombre de bouquins sur la lycanthropie et les légendes y attenant dans l’ancienne bibliothèque, mais n’avait jamais rien trouvé correspondant à ses attentes. En même temps, savait elle exactement ce qu’elle cherchait au juste ? Rien n’était moins sûr…
Cependant, elle opta pour le premier sous sol. Des ouvrages non répertoriés… peut être là dedans se cachait il son Graal.
C’est dans cet état d’esprit mitigé que la jeune femme descendit les marches de l’escalier. Quelques personnes se trouvaient sur place, chacune plongée dans sa propre lecture. Personne ne prêta attention à Karen.
Elle commença ses recherches, se glissant entre les rayons, épluchant les titres de chaque ouvrage se tenant sur les étagères.
Enfin, l’un d’eux attira son regard. « Lycanthropie, mythe ou réalité ? ». Et un autre à côté : « Les loups Garous parmi nous »
Karen se saisit des deux livres, c’était toujours un début. Elle se tourna alors, en quête d’une place assise pour feuilleter ses trouvailles.

Soudain elle tressaillit. Une silhouette qui ne lui était pas inconnue venait de faire son apparition dans l’allée où elle se trouvait.
Ce jeune homme… mais oui, c’était celui là même qu’elle avait soigné un soir à l’Université.Gabriel… Que faisait il dans ce rayon de la bibliothèque ? Les livres qu’elle tenait dans ses mains lui semblèrent soudain de plomb. Si il la reconnaissait, et qu’il voyait ces ouvrages, qu’allait il penser ou dire ? La prendre pour une folle ? Que pourrait elle lui répondre ?
La perspective de reposer en vitesse les bouquins lui traversa l’esprit, mais trop tard, Gabriel arrivait déjà à sa hauteur…

Karen demeura interdite. Au lieu de passer son chemin, Gabriel s’était immobilisé à sa hauteur. Il lui avait dit bonjour.
La jeune femme dut faire un effort surhumain pour sortir de sa tétanie et bafouiller un vague bonjour. A cet instant précis, elle aurait donné n’importe quoi pour se retrouver dans un trou de souris, ou au moins, ne pas avoir ces satanés bouquins dans les bras !
Elle devait avoir l’air finaude, ainsi, droite comme un i, l’air coincée et gauche.

Fort heureusement, le jeune homme ne sembla pas vouloir s'éterniser à ses côtés et refit quelques pas.
Karen réprima un soupir de soulagement, quand un murmure lui parvint à l’oreille.

« Je vous conseille Traité de la lycanthropie, par Telesphor Grant. »

La jeune femme se figea, et son regard croisa à nouveau celui de Gabriel. Avait elle la berlue ou venait il vraiment de lui faire une sorte de clin d’oeil entendu ?
Peut être que si elle avait eu plus de maitrise et « d ‘expérience » de son état de lycanne, elle aurait pu reconnaître en lui un mâle alpha, un loup. Mais pour l’heure, elle ne ressentait rien de tel, mis à part un sentiment ressemblant de près à de la panique.
Mais sans attendre de réponse de sa part, Gabriel s’éloignait déjà dans les rayons.

Karen demeura un instant immobile, le souffle court. Les battements effrénés de son cœur résonnaient dans ses tympans.

* Ressaisis toi ma vieille * se tança t elle intérieurement.
Elle reposa alors promptement les livres qu’elle tenait encore dans sa main, et éplucha le rayon, à la recherche du fameux Traité de la Lycanthropie. Si il existait vraiment.
C’est alors que son regard tomba dessus. D’une main tremblante, elle s’en empara. La reliure en elle même ne payait pas de mine, cela semblait même être une édition à tirages limités.
Le cœur battant, presque fébrilement, elle parcourut les premières pages du traité.
Cela ressemblait d’ailleurs plus à un journal qu’à un traité. Un journal tenu par Telesphor Grant lui même.
Le premier chapitre la glaça d’effroi. La bouche ouverte de stupéfaction, elle lisait là les craintes, les interrogations d’un homme à ses premières pleines lunes, un homme qui lui même s’était fait agressé quelques mois auparavant.

Ce qu’elle était en train de lire, c’était exactement ce qu’elle était en train de vivre !

D’un geste sec et nerveux elle referma le livre et regarda fébrilement autour d’elle. Manquant de bousculer une lectrice, elle se précipita dans l’allée où elle avait vu s’engouffrer Gabriel quelques instant plus tôt.
Elle le trouva, le nez plongé au milieu d’archives.

Karen déboula devant lui sans crier gare, le précieux Traité à bout de bras, l’agitant sous son nez.

« Qui êtes vous ? Je veux dire… Comment avez vous su ce que je cherchais exactement ? Pourquoi un type tel que vous est il autant au fait des histoires de lycanthropes ? »

En entendant le son de sa propre voix, Karen s’aperçut alors qu’elle ressemblait plus à une hystérique qu’à autre chose.
Son bras retomba le long son corps, et elle se détourna, son autre main sur son visage en feu.

« Et pourquoi est ce que je suis en train de vous dire tout cela…. » murmura t elle alors, se parlant à elle même. Elle ne se reconnaissait pas dans la façon déplacée et irréfléchie dont elle venait de se comporter.

Karen demeura bouche bée durant la diatribe de Gabriel. Les ongles sales, le changement de teinte de ses iris… il n’y avait qu’elle pour l’heure qui avait vu ce changement, d’abord infime, imperceptible. Changement par ailleurs qui la terrifiait, lui procurant la désagréable sensation de se transformer chaque jour un peu plus en monstre, malgré elle. Allait elle perdre toute part d’humanité en elle ? Etait ce déjà trop tard ?

« Touchée… » ne put elle s’empêcher de murmurer en guise de réponse au jeune homme.

Alors elle plongea son regard dans le sien. Et elle vit. Elle vit ces même iris un peu jaunâtre. Avait elle la berlue où était il… comme elle ? Etait ce seulement possible ?
Malgré son envie irrépressible de dénie, elle devait se rendre à l’évidence. Cela ne pouvait être autrement et expliquait pourquoi il avait tellement l’air de savoir ce qu’elle cherchait, ce qu’elle vivait.
Et voilà qu’il lui disait de contrôler ses émotions. La belle affaire ! Depuis son agression et sa première pleine lune, Karen se sentait plongée en plein cauchemar. Un cauchemar réel et éveillé.
Elle vivait de manière omniprésente dans la peur, la peur d’elle même, la peur de la bête qui sommeillait en elle et cette peur la tenaillait aux entrailles. Comment conserver son calme et rester maitre de ses émotions dans ce cas là ?

Il lui tendit un épais dossier dont elle se saisit d’une main tremblante. Telesphor Grant, encore et toujours ce nom. Premier cas de lycanthropie répertorié à Cleveland. La jeune femme se sentit soudain nauséeuse, et elle se laissa glisser assise sur le sol, adossée à une étagère.

« Vous aussi n’est ce pas ? Vous vivez la même chose que moi ? Tout ceci est donc réel… je ne suis pas folle… »

Peut être aurait elle préféré être folle. Ca devint une certitude quand son regard tomba sur l’un des feuillets du dossier. Un rapport d’autopsie d’une des victimes de Grant. Elle se couvrit la bouche d’une main, comme pour étouffer un cri.

« Nous… Je suis un monstre… » souffla t elle d’une voix étranglée.

« Pourquoi est ce que je ne me souviens de rien ? Y a t il un moyen de… guérir ? »

Karen jeta un regard égaré à Gabriel, comme en quête de réponses. Bien sur que non , il n’aurait pas de réponse à ses questions. Le jeune homme était maudit, tout comme elle, et devait avoir exactement les mêmes interrogations et craintes. Cependant… il avait l’air si calme.
Cette conversation , cette rencontre lui paraissait totalement irréelle. Mais il y avait déjà quelques temps qu’elle avait perdu pied avec la réalité.

Karen encaissait petit çà petit le choc. Du moins elle essayait. Tous ces derniers mois avaient fait basculer les certitudes et les croyances qu’elle avait pu avoir. Ce qu’elle pensait impossible devenait réel. Le Croque Mitaine…. Cela semblait tellement… absurde.
Elle sentait bien qu’elle avait froissé Gabriel en employant le terme «monstre ». Pourtant c’était bel et bien ce qu’elle éprouvait vis à vis d’elle même. Un monstre. Combien de victimes innocentes avait elle fait durant ces terribles nuits dont elle n’avait aucun souvenir ?
La jeune femme n’en avait aucune idée.

« Je… je suis désolée » murmura t elle. « A vrai dire, j’ignore ce que je suis devenu réellement… »

Le jeune homme se tourna vers elle. Il semblait tellement calme, sûr de lui. Comment faisait il pour vivre cette situation avec un tel aplomb ?

« L'homme chasse la bête. Vous ne vous souviendrez pas de vos actes tant que vous repousserez votre nature. »L’homme chassera la bête… Les paroles de Gabriel résonnèrent dans l’esprit de Karen. Se souvenir. Voulait elle vraiment se souvenir ?
Avoir les visions de ses atrocités présentes dans sa mémoire ? Pourrait elle seulement les supporter ?

« Vous voulez dire…. Que si j’accepte ce que je suis devenue, je pourrais me souvenir de ce que je fais durant les nuits de pleine lune ? Je pourrais contrôler la bête ? Je veux dire… me contrôler ? »

Ne plus attaquer d’innocents….

Karen leva vers Gabriel un regard plein d’espoir, comme une supplication muette. Arreverait elle seulement à accepter ce qu’elle était devenue ? Rien n’était moins sûr, mais si cela pouvait épargner des vies, elle était prête à essayer. Et si elle échouait…. Elle savait ce qui lui restait à faire.

« Comment êtes vous parvenu à l’accepter ? »

Il sentait que la discussion allait être longue. C'est pour cela que lorsqu'elle recommença à parler, hésitant sur les mots et demandant si, effectivement, après l'acceptation elle pourrait se souvenir de ses afits et gestes, il vérifia s'ils étaient seuls en s'éloignant d'elle pour pouvoir parcourir les rayonnages du premier sous-sol. Personne apparemment ; si vous êtes invisibles, montrez-vous. Parfait. Gabriel revint à Karen en baissant la tête vers ses chaussures, faisant claquer sa langue une ou deux fois pour mieux pouvoir se concentrer, pour mieux pouvoir distiller sa science. Sans trop en dire, tout en la laissant découvrir elle-même comment elle devait se contrôler. Ils n'étaient pas tous pareils.

« Acceptez vos pouvoirs. Contrôlez vos émotions. Renseignez-vous. Arrêtez d'y penser en permanence. Faites comme si tout était normal. À vous comporter comme si c'était écrit sur votre front, les gens réagiront comme si ce l'était vraiment, d'écrit à cet endroit. »

Léger silence, ange à peine posé, plume légère.

« Je sais. C'est dur. Je ne l'ignore pas. »

Il parlait en connaissance de cause. À fuir ses amis, les meilleurs d'entre tous, certains l'avaient traité comme un paria, comme un véritable fou. Il était devenu agressif pendant un moment, s'était renfermé jusqu"à l'associabilité totale. Il savait parfaitement que ce qu'il disait était vrai. Et que les résultats de ses conseils étaient là. Pour cause : à moins d'être un fin observateur ou d'être régulièrement en sa compagnie aux approches de la pleine lune, sa nature de lycanthrope passait presqu'inaperçue. Et heureusement : recherché par les deux camps, il n'était pas bon de se faire découvrir. Le blond garçon lui fit un sourire encourageant, lui qui souriait si peu. Il pouvait bien lui céder une de ces denrées. Les dents blanches, les canines un peu plus acérées que la normale, mais un sourire charmant et tout de même doux. Le reste de son monologue fût bien représentatif de sa nature altruiste, celle qui dépasse sa haine des créatures surnaturelles.

« Je peux vous aider, si vous désirez. »

Le manège de Gabriel, pour vérifier si personne ne les écoutait dans le sous sol de la bibliothèque, n’échappa pas à Karen. Etrangement, elle était prête à faire confiance en ce jeune homme qu ‘elle ne connaissait somme toute à peine. Pourtant, en l’espace d’un quart d’heure, il en savait plus sur sa vie et ce qu’il lui arrivait que ses propres parents.

Elle l’écouta sans mot dire. Il avait une façon de s’exprimer si… calme, rassurante. A l’écouter cela paraissait simple. Oui mais voilà, cela ne l’était pas.
Contrôler ses émotions, se renseigner… ne pas y penser en permanence. Dieu sait qu’elle essayait déjà des les appliquer à la lettre ces conseils, mais en vain. Elle se sentait terriblement seule, et terrifiée face à l’inconnu.
Alors, Gabriel lui sourit. L’espace de ce bref instant, Karen eut la pensée irrationnelle que non, elle n’était pas seule. Elle n’était plus seule. Il était pareil qu’elle. Il vivait le même enfer qu’elle.
Comme pour appuyer cette réflexion intérieure, il lui sourit. Un sourire doux et avenant. Ce n’était pas grand chose certes, mais pour Karen, c’était en quelque sorte un gage d’espoir.

« Je peux vous aider, si vous désirez. »

La jeune femme tressaillit aux dernières paroles de Gabriel. Même si inconsciemment elle les avait sans doute souhaité, de les entendre à cet instant précis la surprenait.
Son regard croisa celui du lycan, et pour la première fois depuis longtemps, elle en oublia l’éclat si particulier de ses iris. Peut être parce qu’elle savait que cela n’avait pas d’importance pour le jeune homme.

« M’aider… Je… Je ne veux pas vous importuner » ne put elle s’empêcher de répliquer. « Vous devez avoir déjà bien des soucis qui vous sont propres. »

Elle se tança intérieurement de ses propres paroles, à peine furent elles prononcées. Elle se mordit la lèvre, et se serait volontiers flagellée.

« J’avoue que j’aurais bien besoin d’un coup de main…. Mais en aucun cas je ne voudrais être un poids ou un fardeau. »

Elle fit une légère pause puis émit une évidence face à leur situation.

« Vous êtes aussi seul que moi n’est ce pas ? »

Soudain, un noire perspective traversa l’esprit de Karen. Jusque là, elle c’était souciée de la sécurité des personnes qu’elle risquerait de croiser les nuits de pleines lunes. Mais, de leur condition de lycanthrope, avaient ils eux mêmes des ennemis ? Des ennemis surnaturels également, ou humains ? Ce souci de transparence aux yeux d’autrui cachait il autre chose qu’un simple désir de discrétion ?

« Dites moi…. Avons nous des ennemis ? Des personnes qui voudraient notre peau à cause de ce que… nous sommes ? »

Elle avait posé sa question à voix basse, de manière totalement involontaire, d’instinct. La réponse semblait évidente, mais elle avait eu besoin de le dire concrétement.

L’air songeur qu’arbora le lycan l’espace d’un instant n’échappa pas à Karen. La vie de tous les jours, la dure réalité de son état ne devait pas être aisé à vivre pour lui non plus. Cela ne devait l’être pour personne.

Il se mit alors à énumérer la liste de leurs ennemis, revenant à leur conversation. Elle resta d’abord muette, quelque peu abasourdie, regrettant l’espace d’un instant d’avoir posé la question.

« Et bien…. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas très populaires… » murmura t elle sombrement.
La plupart des êtres cités par Gabriel étaient des créatures légendaires pour la jeune femme. Du moins jusqu’à il y a peu. Car depuis qu’elle était elle même une de ces créatures, plus grand chose ne la surprenait, hélas.

« Pas très engageant toutes ces perspectives. »

C’est alors que le jeune homme changea d’attitude et se présenta tout en lui tendant la main. Une main large, rassurante. Une main qui pouvait s’avérée protectrice, tout comme elle pouvait vous administrer une gifle monumentale.

« Commençons par le commencement, toutefois.
Je m'appelle Gabriel. Harper. »


Karen ne put s’empêcher de sourire, il était vrai que leur conversation était jusque là plutôt … atypique. Elle plongea son regard dans le sien, tout en glissant sa main dans la sienne. Main qui à ce moment précis lui semblait plus fine et petite que jamais.

« Karen Nollan. »

Elle appréciait le contact chaud et ferme de la main de Gabriel. Sans le connaître, elle éprouvait sympathie et confiance envers le lycan. Etait ce dû à sa personnalité ou à sa nature de lycan ? Elle n’aurait su le dire et encore moins l’expliquer.

« Pour la première fois depuis longtemps, je me sens moins seule… merci »

Elle avait parlé sans réfléchir. Depuis cette nuit à la morgue où elle avait été mordue, elle n’avait pu parler ni se confier à personne. Elle s’était encore plus isolée qu’avant à vrai dire. Et cette solitude face à une situation et des évènements qui la dépassaient était pesante.

« Sans vouloir être indiscrète… depuis combien de temps êtes vous… ? Vous en connaissez d’autre ? »

Karen s’était sentie obligée de poser ces questions qui lui brûlaient les lèvres. Mais elle aurait parfaitement comprit que Gabriel ne souhaite pas y répondre. Surtout celle concernant son état. Après tout ,elle était une inconnue pour lui.

« Moi c’était il y a plusieurs mois… je bossais comme toutes les nuits… à la morgue. C ’était un cadavre parmi tant d’autres… je veux dire… il était mort, il devait être mort…. »

Sa gorge se serra à l’évocation de ses souvenirs.

« Je n’ai rien pu faire… il m’a sauté dessus par surprise… et m’a mordu à l’épaule… pourquoi il ne m’a pas tué, je ne sais pas….. »

Pourquoi racontait elle tout cela à Gabriel ? Elle l’ignorait. Peut être tout simplement parce que c’était la seule personne – et la première – à qui elle contait cette terrible nuit, à voix haute…

« Je… je suis désolée… »

Pourquoi s’excusait elle ? Etait elle désolée de ce qui était arrivé à Gabriel, ou bien désolée d’avoir posé cette question ?
Karen n’aurait su le dire. De suite, après son interrogation, elle avait senti le lycan se renfrogner, elle avait perçu aisément sa réticence à aborder le sujet. Quelle idiote, elle aurait du pourtant s’en douter ! Ce n’était pas le genre de souvenir que l’on appréciait à évoquer, elle était bien placée pour le savoir…

Deux ans… deux longues années que ce jeune homme vivait avec la bête, qu’il était un lycanthrope… A priori il avait apprit à vivre avec et s’en était accommodé. En apparence du moins.
Gabriel n’était pas du genre expansif ou bavard, elle devait l’admettre. Il répondait laconiquement à ses questions, ne s’embarrassant pas de paroles inutiles ou frivoles. Directement à l’essentiel. Elle n’aurait su dire si son comportement la réconfortait ou l’agaçait. Tandis qu’il lui parlait, il continuait à consulter ses dossiers, entre deux phrases.
Enfin, il releva son regard acier sur elle.

« Vous apprendrez. Silence. À parler de cela. »


Elle apprendrait… De toute manière, elle n’aurait guère le choix. Si elle voulait vivre, il lui faudrait apprendre à vivre avec la bête, apprendre à s’en accommoder elle aussi. Son regard retomba sur les ouvrages de Telesphor Grant.

« Je lirais ces écrits… ce sera déjà un début » murmura t elle pensivement. Puis elle se releva en prenant appui sur les étagères derrière elle.

« Vous avez été seul n’est ce pas… durant ces deux ans ? Personne ne vous a aidé… »

Karen ne pouvait s’empêcher d’admirer le courage de Gabriel, d’avoir affronté tout cela seul.

« Pourquoi voulez vous m’aider moi ? Par esprit de bon samaritain ? Ou bien par…. Solidarité « canine » ? »

Elle prononça ces derniers mots avec un demi sourire, sourire plus désabusé qu’autre chose. En réalité, elle était touchée par son aide, et surtout, elle avait désormais l’envie de l’aider lui également. Deux ans de solitude, c’était trop, beaucoup trop. Elle eut l’impression qu’ils étaient deux naufragés au cœur d’une tempête.